INTERVIEW D’UN TROUVEUR
Le Journaliste : Monsieur Pierre Montmory, vous êtes reconnu !
Pierre Montmory : Bien-sûr, mes parents m’ont reconnu à ma naissance et les gens qui m’ont déjà vu peuvent me reconnaître.
Le Journaliste : Vous êtes un poète.
Pierre Montmory : Oh, bien prétentieux celui qui se dit poète. Je ne connais qu’un seul poète, c’est le créateur. Quant à moi je ne suis qu’un trouveur, c’est-à-dire le scribe d’un génie qui est accompagné des muses.
Je ne fais que recopier ce que me dicte le créateur quand je sens qu’il a quelque-chose à me dire. Alors je prends ma plume et mon travail consiste à corriger l’orthographe et à soigner la syntaxe.
Je Journaliste : Vous êtes aussi un écrivain professionnel.
Pierre Montmory : Oui, on peut dire que je suis un professionnel car je pratique depuis longtemps l’art d’écrire et qu’une certaine expérience m’est acquise et cela me permet de rendre publique des œuvres fabriquées dans les règles de l’art.
Mais, je ne me vois pas employé à faire des lignes pour un patron qui me servirait ses modèles et directives. J’aime trop la liberté pour la négocier dans des choix ou bien pour négocier une liberté illusoire. La liberté ne se négociant pas, c’est vivre comme il se doit qui me guide et nul besoin d’être quelqu’un et d’avoir quelque-chose Je n’ai pas l’intention non plus de prendre ou de participer à un marché de dupes pour quelque rémunération et la promesse d’être inscrit au fronton des célébrités.
Le Journaliste : Quelles sont ces muses dont vous parlez tant et qui vous accompagnent ?
Pierre Montmory : Ce sont mes amies de toujours. Mais je ne révèlerai pas leurs noms ici, je ne dis jamais le nom de mes amis.
Le Journaliste : Vous êtes rarement publié, les médias vous ignorent, et vous n’avez jamais été subventionné.
Pierre Montmory : Je ne suis pas publié mais je suis lu et entendu dans les lieux de vie du peuple, sur les places publiques où je donne gratuitement ce qui m’a été offert gratuitement à la naissance ! Je ne mourrai pas sur une étagère entre des critiques de spécialistes et des agents culturels.
Le Journaliste : Pourquoi avoir choisi le métier d’artiste ?
Pierre Montmory : Je n’ai rien choisi du tout à part ma liberté. Ce sont des artistes - qui m’ont instruit et produit - qui m’ont choisi car – pensaient-ils, j’avais du talent pour ces choses. Le public l’a confirmé qui continue à m’attendre en tournant les pages renouvelées de mes trouvailles.
Je tenais à peine sur mes pattes qu’on m’a donné un pinceau, des couleurs et une feuille vierge et l’on m’a demandé de faire le portrait de mon nounours que j’appelais Riquiqui. En moins de deux je me suis exécuté et les gens ordinaires comme les artistes qui étaient présents en restèrent ébahis !
Le Journaliste : Vous n’avez jamais appris ?
Pierre Montmory : Je pense que ce que l’on sait vraiment, on l’apporte avec soi en naissant. À la petite école ou j’aimais aller, j’ai appris à lire, écrire et compter dans la langue de mon quartier de Terre et j’étais déjà sûr d’un fait : je savais. Quoi ? Tout et rien. C’est en avançant dans la vie avec tous mes sens en alerte, avec la curiosité, puis en offrant mes dons aux autres que je me suis connu.
En me donnant à connaître je rencontre mes amis de toujours, et attire à moi mes amours. Et quand j’ai connu je quitte les autres pour rester seul en ma compagnie et me mettre au travail dans mon atelier.
Je me pousse au c… Et ce n’est pas toujours facile à cause que je suis paresseux de nature. Alors, j’invente un conteur imaginaire, un conteur qui ferait tout le travail, le paysage, les bruits, les personnages, la météo, et j’y mêle les intrigues et les anecdotes que j’ai cueillies dehors, je m’inspire de tout et de tout le monde.
Je donne à mon conteur une voix en dedans de moi et alors, seul avec lui dans le calme de mon atelier, je l’écoute.
Je recopie ce que je crois entendre mais que je devrai relire et relire encore pour en comprendre - non pas vraiment toujours le sens - mais surtout y ajuster la syntaxe et l’orthographe pour que le futur lecteur ou auditeur arrive à trouver lui-même un sens qui lui convienne.
Le journaliste : Et les muses, dans tout cela ?
Pierre Montmory : Les muses sont des femmes de notre peuple d’humains qui chantent pour charmer, éloigner le mal et guérir et nous divertir !
Au frémissement intense de la vie - que l’ignorant nomme la peur, le cœur tremble et la douceur d’une eau vive vient le rafraîchir. « Bonjour le jour, bonjour l’amour ! »
Je prends ma plume d’un geste volontaire, et tout mon corps produit l’effort à creuser les sillons pour l’encre, dans le champ vierge de la page où est déjà déposé l’humus joyeux de la vie. Et, après cet effort qui me fait naître encore, je n’ai plus peur. La joie de vivre a fait de moi son amant. Le vent se lève et le chant des muses commence et durera tout le temps de ma présence avec elles.
Et, du silence absolu de la mort - la mort dont se nourrit ce qui vit, paraît un génie qui dort. Le créateur mue en un génie ancien. Un génie qui rêve à son retour sur la terre. Un génie soudain debout, juste au-dessus des morts, des morts qui sont l’humus qui dort, des morts qui aident à la fabrique de la nourriture des rêves futurs.
Alors, d’une ruade suivie d’un cri qui dit « Allez ! », j’enfonce le soc de ma plume dans la chair de mon journal. Ce journal en forme de poème que je me dois de distribuer de mon vivant, dès sa récolte ramassée, car le monde a faim d’amour.
C’est l’amour que l’on cultive quand on donne aux autres ce que l’on se doit de donner.
Et quelque-chose en moi sait que si je ne parle pas quand il est temps cela fera du tort. Et si je ne travaillais pas, je souffrirais jusqu’à n’être plus qu’une douleur, celle qui mène par ses chaines les victimes du sort au bourreau inhumain.
Le Journaliste : Tout cela est bien beau, mais, il faut manger et boire, se loger et se vêtir !
Pierre Montmory : Ce n’est pas au public de m’entretenir. Et, s’il se peut que les braves gens m’offrent quel qu’argent ou récompense, n’y voyez pas là un dû ou un salaire mais des dons en échange des miens et ces dons ne sont pas pour payer mes factures personnelles. Ces dons existent d’abord pour faire vivre l’art, (comme au temps de la religion les croyants font un don pour que vive leur foi – et non pour engraisser l’officiant) et ici, comme mes poèmes et mon théâtre ont reçu généreuses mannes, j’ai pu multiplier mes offres gratuites en payant les outils nécessaires à leurs réalisations, mais, jamais, cela ne fut et ne sera pour entretenir les frais qu’un humain en bonne santé peut régler en exerçant n’importe-quel métier rémunéré.
Le Journaliste : Mais, à quoi servent les ministères de la culture ?
Pierre Montmory : Ils ne devraient servir qu’à entretenir en état de marche les outils mis à la disposition du public qui veut y donner ses trouvailles et recevoir celles des autres. Le ministre et ses fonctionnaires n’ont pas à donner leur avis ni à décider à la place du public. C’est le public le seul juge des œuvres d’art et des artistes.
Le peuple n’a pas à être gouverné. On gouverne les choses mais pas les gens.
Et l’on jugera de la grandeur d’une civilisation à l’aune de la curiosité et du don.
Plus la curiosité reste intacte et plus les gens sont tolérants. Et, plus il y aura de don, plus nous avons de paix éternelle.
La tolérance mène à la grande civilisation.
Le Journaliste : C’est de l’utopie !
Pierre Montmory : L’utopie est une chose qui existe mais qui n’est pas encore arrivée. Pour faire la paix, il faut préparer la paix.
Mais la guerre elle, est toujours de la terreur. La guerre c’est la fin de tout. Il n’y a pas de bonne guerre. Toutes les guerres sont inutiles. Tant que la peur de la guerre domine, cela empêche la paix et créé ignorance et misère.
Le Journaliste : Vous faites de la politique !
Pierre Montmory : Oui, bien sûr, mais je ne fais que mon devoir de citoyen et je veux rappeler spécialement aux artistes leur responsabilité. Monter sur scène, peindre un tableau, composer de la musique, nécessite que dès les premières syllabes, dès les premières touches, dès le premier silence, que les gens doivent être charmés, mais le mal repoussé, mais les gens guérir et l’intelligence appelée !
Le Journaliste : Vous pensez que tout le monde est intelligent?
Pierre Montmory : Oui, bien-sûr ! Tous les animaux le sont! On est peut-être con quand on ne sait pas si un intellectuel ou un prétendant artiste est intelligent mais, ce qui est sûr, c’est que nous avons une culture commune à tous les humains : nous avons tous déjà vu pleuvoir, nous connaissons le mal de dent et le mal d’amour, nous rêvons, nous nous inquiétons pour nos enfants, pour nos vieux… nous avons de l’expérience !
Notre condition biologique, le fait que nous ne pouvons sortir de notre existence autrement que par notre imaginaire, nécessitent, absolument, que tous nos organes des sens soient en bonne santé pour exprimer le chant de notre espérance, sans quoi, vivre devient insupportable et que le malheur submergeant l’amour et la beauté, le trop grand, l’immense douleur des malheureux engendre la terreur.
La terreur dont s’emparent les plus faibles des humains pour violenter l’Humanité. Et les hommes politiques d’aujourd’hui, par faiblesse pour le pouvoir et cupidité pour posséder, attise le feu de toutes les terreurs. Les hommes politiques ne sont plus que des domestiques au service des saigneurs de la vie.
Les hommes politiques exercent l’art de la guerre en inventant de nouvelles maladies afin d’imposer leurs remèdes.
Et beaucoup d’artistes ne sont là que pour divertir la clientèle en cachant l’horreur derrière un décor abstrait de toute signification.
Beaucoup artistes ne sont que les animateurs du grand magasin du monde et les motifs qu’ils répètent dans leurs œuvres sont toujours les mêmes : « À bas l’intelligence »; « Mort à la critique ».
Nous vivons une ère totalitaire avec la mort partout comme une terreur suprême. En attendant, les domestiques des États et les travailleurs appliquent l’idéologie unique du consumérisme. « Pourvu qu’on mange et qu’on puisse acheter notre rédemption ! »
Beaucoup d’artistes aiment la mort, les terroristes aussi.
Paris, le 13 Novembre 2015