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Le blog de Pierre Montmory

JEAN GIONO POÈTE

   L’homme est un animal avec une capacité d'ennui. Les hommes s'ennuient, ils ont la capacité d'ennui. De là, la création de tous les vices, de là, la création de tout ce que vous pouvez imaginer, de là, les crimes, parce qu'il n'y a pas de distraction plus grande que de tuer; c'est admirable; la vue du sang est admirable pour tout le monde.

L’homme est un animal avec une capacité d'ennui. Les hommes s'ennuient, ils ont la capacité d'ennui. De là, la création de tous les vices, de là, la création de tout ce que vous pouvez imaginer, de là, les crimes, parce qu'il n'y a pas de distraction plus grande que de tuer; c'est admirable; la vue du sang est admirable pour tout le monde.

   J'aime ce pays... Les gens qui habitent ici sont semblables aux hommes qui habitent ailleurs.

   La religion est le soutien naturel de cette société qui traîne le malheur sur la terre. Elle est comme ces hautes flammes du soleil qui se détachent de la masse de feu et roulent dans l'espace, se refroidissant en mondes noirs qui s'éloignent de l'astre générateur et plongent dans les abîmes. Il y a bien longtemps que la religion n'a plus aucun rapport avec Dieu.

   La mort ne m'a jamais angoissé et je trouve au contraire que c'est extrêmement consolant de savoir que la mort existe. La mort je la comprends d'une façon parfaite, et je l'ai comprise dès le début.

   Celui qui prie pour empêcher la mort est aussi fou que celui qui prierait pour faire lever le soleil par l'ouest, sous prétexte qu'il n'aime pas la lumière matinale.

   La littérature, ça n'a rien à voir avec la douleur physique (...) Quand tu es véritablement malade, je prends des trucs qui sont véritablement des souffrances de damnés, et bien quand tu as ça, la littérature tu te demandes à quoi ça sert !

   Faire chanter les lendemains est l'essentiel de toute mystique. On ne s'en prive pas depuis que le monde est monde et, sur ce point, il n’est nécessaire de progresser parce qu'il n'y a pas besoin de progrès. C'est parfait du premier coup.

   Nous n'avons pas de futur. Pour tout le monde le futur parfait c'est la mort. Notre seul bien c'est le présent, la minute même; celle qui suit n'est déjà plus à nous.

   Les sentiers battus n'offrent guère de richesse; les autres en sont pleins.

   Perdre est une sensation définitive; elle n'a que faire du temps. Quand on a perdu quelqu'un, on a beau le retrouver, on sait désormais qu'on peut le perdre.

   Que faut-il pour réussir? De la bravoure? De l'obstination? De la chance? Du génie? Non: de la médiocrité. Quoi que produise le médiocre, c'est un produit qui s'adresse au plus grand nombre. Il est sûr de son affaire, il a les qualités requises par la majorité des individus.

   Être juste donne tout de suite la paix. Enfin, une paix. Il ne faut pas être difficile.

   Je vais dire une chose affreuse; mais la vérité est souvent dans les choses affreuses.

   La réalité est pour moi sans aucun intérêt. Je l'utilise dans ma vie quotidienne, mais pour mon écriture, j'ai besoin d'autre chose. J'ai besoin d'inventer absolument tout, en partant de choses existantes, car seul Dieu peut inventer à partir de rien. On est forcé d'inventer à partir de quelque chose qui existe déjà.

   L'important est d'être subjectif.

   Si je souffrais en écrivant, je chercherais autre chose, je ferais du jardinage où je ferais, je ne sais pas, de la pêche en mer ou le jeu de boules ou de la belote. Je trouverais quelque chose qui me plaise, qui m'amuse.  Souffrir toute sa vie pour écrire ? Ah, non !

   Je me mets toujours au travail le matin devant ma page sans savoir du tout ce qui va se passer. Rien n'est préparé. Rien n'est prêt. Je m'arrête le soir à un moment où je ne sais pas ce qui va se passer; car je me raconte en premier lieu le livre à moi-même, ce qui m'intéresse, c'est de me raconter ce livre, plus que d'écrire un livre pour écrire un livre.   J'écris moins pour le public, j'écris pour mon plaisir personnel. Si le livre m'ennuie, je le quitte et je fais autre chose.

   Il est très probable que si j'avais à faire le portrait de Paris, je ferais, une fois de plus, le mien.

   Je me suis efforcé de décrire le monde, non pas comme il est mais comme il est quand je m'y ajoute, ce qui, évidemment, ne le simplifie pas.

   La plupart du temps, je raconte des histoires. Pourquoi ? Parce que, d'abord, je ne suis pas intelligent, je ne peux pas raconter des histoires intelligentes, je ne peux pas me servir d'une phraséologie intelligente avec des mots savants pour expliquer de quelle façon la pensée se transforme, se transmet. Alors, pour me permettre de parler quand même, je vous raconte une histoire que je connais. Je parle de choses que je connais et à mesure j'invente, lorsque ça m'est agréable, lorsque je sens un détail qui n'existait pas dans la réalité, mais que je peux mettre ajoute du sel à l'histoire... Ce n'est pas combiné, ce n'est pas organisé de façon à raconter une histoire, à briller. C'est pour rien, c'est gratuit. Parce qu'elle me fait plaisir.

   Je ne pourrais jamais être un journaliste, décrire un fait divers qui s'est passé sous mes yeux. J'ai essayé; j'en suis totalement incapable. Quand je veux, dans mon journal personnel, marquer un événement qui vient de se passer dans ma vie, essayer de le serrer au plus près, je vois toujours l'endroit où je triche.

   C'était le péché le plus terrible: la démesure ! C'est un péché que je connais parce que c'est un péché que je commets constamment.

Lorsque j'essaie d'intégrer la réalité à un récit créé, la réalité me gêne constamment. Je suis obligé de la modifier peu à peu (...) Lutter contre la réalité est mon travail presque principal dans la création.

   Je crois qu'il n'y a rien d'objectif, que tout est subjectif, aussi bien le lecteur que l'auteur, par conséquent, il faut que les deux subjectifs coïncident. A ce moment-là, vous avez créé la vérité !

   L'homme pour moi est un monstre, un monstre si nous le comparons à ce qu'il voudrait être. Non pas si nous le prenons dans son intégrité. Là, il est ce qu'il est. Mais si nous voyons par exemple, si nous imaginons ce que nous sommes, c'est à dire des gens cultivés, civilisés, à ce moment-là la vérité c'est que nous sommes des monstres, nous dissimulons dans notre partie noire des choses extraordinaires.

   Je considère que l'homme est très peu de chose, minuscule, très peu. Son intelligence est très peu de chose, que ce qu'il a découvert, même avec les découvertes des cinquante dernières années, c'est très peu de chose. C'est infime. Ça n'a de valeur que par rapport à nous, et ça ne nous paraît grand que parce que nous sommes infiniment petits. Par rapport à l'univers, c'est zéro multiplié par des milliards et des milliards de zéro, c'est zéro. Une espèce de petit frémissement sur une gelée glacée.

   Entre ce que tu es et ce que tu veux, il y a un monde. Tu peux te débattre. Et vas-y donc! Et alors quoi! Tu seras toujours paisiblement ce que tu es. Paisiblement, je veux dire, ça fera son affaire sans t'écouter ni sans savoir de quoi tu as envie, et même en t'écorchant paisiblement le ventre à coups de griffes comme si c'était un petit renard que tu portes.

   Je n'ai jamais cru que l'école, ou les écoles, était suffisante pour faire un homme; il y faut le travail de la vie. Les animaux ont plus de chance que nous. Un petit renard est magnifiquement aidé par la nature, et il devient presque immanquablement un grand renard. Entre un petit homme et la vie s'interposent toutes les inventions des hommes, leurs bruits qui ne sont pas beaux, leurs couleurs qui ne sont pas belles, leurs odeurs qui sont mauvaises. Certains de ces petits hommes n'auront jamais leurs sens alimentés par d'autres choses. Il est logique, normal et naturel qu'ils soient morts. Tels ne deviennent jamais des hommes au vrai sens du terme; ils sont tout ce que voulez d'autre: de petits voyous, de petits crétins, les esclaves de leurs nerfs.

   Si j'invente des personnages et si j'écris, c'est tout simplement parce que je suis aux prises avec la grande malédiction de l'univers, à laquelle personne ne fait jamais attention: c'est l'ennui. Au fond, pour moi, si on voulait une description de l'homme, l'homme est un animal avec une capacité d'ennui. Le chiens ne s'ennuient pas, les animaux ne s'ennuient pas, les animaux domestiques ne s'ennuient pas, même pas les moutons, mais les hommes s'ennuient, ils ont la capacité d'ennui. De là, la création de tous les vices, de là, la création de tout ce que vous pouvez imaginer, de là, les crimes, parce qu'il n'y a pas de distraction plus grande que de tuer; c'est admirable; la vue du sang est admirable pour tout le monde.

     L'homme a toujours le désir de quelque monstrueux objet. Et sa vie n'a de valeur que s'il la soumet entièrement à cette poursuite. Souvent, il n'a besoin ni d'apparat ni d'appareil; il semble être sagement enfermé dans le travail de son jardin, mais depuis longtemps il a intérieurement appareillé pour la dangereuse croisière de ses rêves. Nul ne sait qu'il est parti; il semble d'ailleurs être là; mais il est loin, il hante des mers interdites. Ce regard qu'il a eu tout à l'heure, que vous avez vu, qui manifestement ne pouvait servir à rien dans ce monde ci, traversant la matière des choses sans s'arrêter, c'est qu'il partait d'une vigie de grande hune et qu'il était fait pour scruter des espaces extraordinaires.

   Les hommes sont les êtres les plus faibles du monde parce qu'ils sont intelligents.   L'intelligence est exactement l'art de perdre de vue.

   Je crois que ce qui importe c'est d'être un joyeux pessimiste.

   Sur terre il n'y a plus rien d'inconnu, nous sommes obligés à chaque génération de nous fabriquer de l'exceptionnel avec des guerres et des grandes églises militaires. Et déjà nous sommes entrés dans l'ère des laideurs à quoi mènent tous les ennuis, et nous avons été obligés de créer, comme les Aztèques, les divinités politiques que nous nourrissons d'enfants crus pour nous apporter un peu d'émoi. Mais comme nous manquons d'imagination (elle est tombée de nous comme le membre inutile tombe des races zoologiques) nous sommes incapables de donner à ces monstres les forces et les couleurs du serpent à plumes, ou de l'airain brûlant de Moloch. Nous prenons un homme quelconque et nous lui donnons tant de droits sur nous par notre bêtise, qu'il nous dévore ensuite mais avec laideur.

   Je sais que je parle de choses très humbles, mais ne sommes-nous pas désespérés de chercher en vain le bonheur avec des moyens orgueilleux ?

   La science et les techniques ayant mis, semble-t-il, un petit coin d'univers à la portée de l'homme, son désir s'enflamme et il s'imagine volant de mondes en mondes. C'est d'ailleurs le siècle des transports en commun.

   A celui qui demande le voyage à son âme la terre suffit. Il ne peut en épuiser les richesses.

   Qui se penche sur une fleur s'approche plus près de Dieu que le cavalier des fusées; la vieille boîte à herboriser fait pénétrer plus avant dans l'univers que le scaphandre de l'astronaute. Le secret du bonheur est là.

   Le bonheur est une recherche. Il faut y employer l'expérience et son imagination.

   On ferait danser un âne sur un fil de fer avec l'appât du bonheur. Le plus beau, c'est qu'il suffit de le promettre, et il n'y a aucune différence entre celui promis par l’église et celui promis par les matérialistes. On est toujours à courir après et tout le long de la course on tue comme on dit que font les Malais dans les folies de l'Amok. Le sort des hommes qui veulent rester libres ou qui tiennent à leurs propres idées est tragique: ils sont livrés aux chrétiens.

   Les trucs avec lesquels les hommes font leur bonheur, pas besoin de marteau-pilon pour en venir à bout.

   Je suis désespéré d'avoir du bon sens; mauvais outil pour le bonheur.

   Dites-moi que nous allons être heureux tous ensemble; je fuis immédiatement du côté où j'ai des chances de pouvoir m'occuper moi-même de mon bonheur personnel.

   On n'a pas fini de m'entendre parler de bonheur, qui est le seul but raisonnable de l'existence.

   Il n'est pas certain que je fasse mon bonheur où vous faites le vôtre; il est même certain que dans la meilleure des hypothèses, je ne ferai mon bonheur où vous faites le vôtre qu'en modifiant, en mettant à ma taille les circonstances qui vous satisfont entièrement.

   Voilà pourquoi les grandes machines sociales qui font du bonheur un produit manufacturé ne livrent finalement que de la camelote.

   Je ne crois pas au problème résolu pour tout le monde. Je ne crois pas que l'on puisse trouver le bonheur commun.

   Je crois que ce qui importe c'est d'être un joyeux pessimiste.

   Je ne crois pas que les joies du monde sont toutes marquées dans le catalogue auquel on nous a habitués à recourir dans tous les cas.

   Il y a autant de réalités que d'individus: c'est une vérité de La Palice. Je passe à côté d'un champ de blé. Il y a le champ de blé du paysan qui l'a semé, qui escompte la récolte, pense à tout ce qu'il pourra payer avec l'argent que rapportera le blé; il y a le champ de blé près duquel je passe et qui me donne des idées de cuirasse d'or (par exemple et pour aller plus vite), d'autant que je suis en promenade avec un petit Arioste dans ma poche, et je serais plutôt tenté d'admirer dans ce champ de blé le magnifique vert des chardons et le beau rouge des coquelicots que j'interprète comme le travail de Cellini et du sang vermeil, alors que le vrai paysan s'en désespère et suppute combien ces chardons secs seront désagréable au battage. Il y a le champ de blé de l'économiste distingué; il y a le champ de blé du citadin en ballade; il y a le champ de blé de Van Gogh, mais il n'y a pas le champ de blé du manieur de réalités. Ni le paysan, ni moi-même, ni l'économiste, ni Van Gogh ne sommes dans la réalité. Tout ce que nous pouvons transmettre c'est l'idée que nous nous faisons du champ de blé. Il en est des êtres comme des choses. De là les passions.

   La réalité est difficile à manier. Les naturalistes prétendent qu'il faut l'employer nue et crue. Oui, si on veut faire du document ou du journalisme; non si on veut faire du roman ou simplement un récit.

   Raconter une histoire est un art; il faut donc mentir, ne serait-ce que par omission puisque l'art est un choix.

   L'hydrothérapie c'est bien beau, mais avoir son alpha et son oméga dans la serviette éponge et l'ambre solaire, c'est un peu court d'idée. On a aujourd'hui tendance à se contenter de choses un peu courtes sous prétexte que la vie l'est également.

   L'eau, dès qu'il y en a d'étendue sur plusieurs kilomètres carrés, attire irrésistiblement la médiocrité sur ses bords.

   Le bien-être ne sert qu'à désirer plus; et dans cette idée il n'y a pas de limite.

   Depuis plus de cent ans on a mis toute la confiance de la vie humaine dans des bricoleurs. Chaque fois qu'ils ont trouvé un truc on a crié au miracle. Chaque fois on s'est un peu plus donné, pieds et poings liés sans crainte, les yeux fermés avec une confiance de tonnerre de Dieu, on est arrivé non seulement à presque tout faire avec des trucs, mais, ce qui est plus terrible encore, à désirer tout faire avec des trucs. On a perdu l'habitude de se servir des membres, faits pour servir. C'est tout juste si ces derniers temps il n'a pas été question de faire des enfants avec des seringues. En tout cas, il n'y a plus un seul homme qui consente à se déplacer sur la terre à l'aide de ses jambes (si on leur disait que c'est naturel, ils crieraient qu'on veut retourner en arrière); mais ils sont fiers comme Artaban parce qu'ils ont trouvé le truc qui leur permet de se trimbaler le long des routes en faisant péter de l'essence sous un fauteuil. Si jamais ce truc-là venait à leur manquer, les routes seraient désertes, pas un n'oserait se servir de ses jambes. D'ailleurs, auraient-ils encore des jambes? A plus forte raison, plus personne n'ose se servir de ses viscères. Ce foie admirable qui noircissait comme l'orage dans les flancs des héros d'Homère, à peine si maintenant on s'en sert pour être acariâtre ou bilieux! Qui, parmi tous ces veaux, est encore capable de prendre une sacrée colère? Avec des petits trucs pour vivre et des petits trucs pour gagner sa vie, on va au jour le jour. Si on se trouve devant une obligation de grandeur, on biaise, on l'évite, on s'écarte par la tangente. Si on souffre trop, on fait un discours, ou on écoute un discours; car on est peut-être capable d'inventer le truc du téléphone, de la techno et des fusées, mais on n'est pas capable de trouver des raisons individuelles de grandeur.

Jean Giono Poète

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