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Le blog de Pierre Montmory

Et si je ne reconnais pas le gouvernement ?!

“Où donc est mon pays ? Mon pays est où je suis, où personne ne me dérange, où personne ne me demande qui je suis, d'où je viens et ce que je fais.” ― B. Traven

“Où donc est mon pays ? Mon pays est où je suis, où personne ne me dérange, où personne ne me demande qui je suis, d'où je viens et ce que je fais.” ― B. Traven

TRAVEN

- écrivain -

JE NE PUIS aller au-delà du jour où je vis. Mais je me place au-dessus. C’est ma volonté et c’est ainsi. Un roi a-t-il déjà pu davantage ?

Où cela ?

Et si je ne reconnais pas le gouvernement ?!

Je n’ai qu’à le vouloir et il n’existe plus. Un gouvernement sans gouvernés. Quel gouvernement ? Je n’en ai pas, puisque je ne le respecte pas, puisque je ne le reconnais pas.

Il peut me tuer. En serait-il davantage gouvernement ?

Une pierre que m’a lancée un enfant peut me tuer, un cheval emballé peut me tuer. L’enfant, la pierre, le cheval, en sont-ils pour autant un gouvernement ?

Mais je garde mes mains dans mes poches.

Un soldat du gouvernement peut m’empêcher d’accomplir un travail utile- et est seul utile un travail nécessaire. Un seul soldat. Mais mille soldats gouvernementaux, armés de canons et de tanks, ne peuvent m’obliger à travailler. Ils peuvent me contraindre à rester à mon poste ; mais ils ne peuvent faire que le travail auquel ils me contraignent serve à quelque chose.

Que celui qui a des oreilles entende !

Que celui qui a des mains touche !

Y a-t-il un gouvernement qui soit au-dessus de moi ? Il peut me tuer. Néanmoins je n’y perds rien ; j’y gagne. Un mort est une caisse de résonance que nul tribunal, nulle muraille de prison ne peut me faire taire.

Le gouvernement peut me tuer, je n’y perds rien. Mais le gouvernement perd un homme qu’il comptait gouverner. Et qu’est-ce qu’un gouvernement sans hommes à gouverner ?

Et si ma volonté de ne pas être gouverné compte plus que ma vie ? Ma vie est bornée, être gouverné est sans bornes.

Oh ! Que tu es donc misérable, gouvernement ! Toi qui t’imagines gouverner, et qui n’es rien quand je te nie.

Oh ! Que vous êtes misérables dans vos réunions, à parler et à ne pas agir !

Vous vous repaissez de haine contre un dictateur, qui a déjà signé sa propre chute avec son premier crime.

Votre haine contre lui ? Qui n’a ni âme ni conscience ne sera jamais touché par la haine. Et comment la haine pourrait-elle le toucher, puisqu’il n’a jamais connu l’amour, qu’il n’a été qu’un chef qui avait besoin de subordonnés pour devenir monarque ?

Est-ce qu’un seul de vos chefs a d’autres but que de vous régenter ou se servir de vous pour en dominer d’autres ?

Soyez tous des chefs vous-mêmes !
Que chacun soit son propre chef !
Je n’ai pas besoin de chef. Alors pourquoi vous, qui êtes aussi bien que moi, qui pouvez penser tout comme moi ?
Je ne veux éduquer personne.

Je ne veux persuader personne.

Je ne veux convertir personne ; car si vous pensez, vous connaîtrez la vérité et vous saurez ce qu’il faut faire.

Pensez ! C’est mon droit d’exiger cela de vous, puisque vous êtes des hommes et que vous pouvez penser. Oui, mon droit. Mon droit de toute éternité.

Pensez ! Mais vous ne pouvez pas penser, parce qu’il vous faut des statuts, parce que vous avez des administrateurs à élire, parce que vous avez des ministres à introniser, parce que vous avez besoin de parlements, parce que vous ne pouvez pas vivre sans gouvernement, parce que vous ne pouvez pas vivre sans chef.

Vous cédez vos voix pour les perdre, et qu’en vous voulez vous en servir vous-mêmes, vous n’en disposez plus, et elles vous font défaut parce que vous les avez cédées.

Pensez ! Vous n’avez besoin de rien d’autre. Prenez conscience de la sereine passivité que vous avez en vous, dans laquelle s’enracine votre invincible pouvoir. Laissez d’un cœur apaisé et insouciant s’effondrer la vie économique ; elle ne m’a pas apporté le bonheur et elle ne vous l’apportera pas non plus.

Laissez consciemment pourrir l’industrie, ou c’est elle qui vous pourrira.

Vous faites grève. Bravo, bande de serfs ! L’industrie s’engraisse de vos grèves et vous affame. Vous faites grève et vous gagnez. O vainqueurs ! ce que vous avez gagné, c’est un maigre quignon de pain : pendant que vous fêtiez la victoire, le vaincu a acquis deux domaines. O vous qui vainquez ! Vous qui vous convainquez ! Votre chef en est devenu ministre, fiers vainqueurs !

Qu’avez-vous besoin d’un sofa en peluche ! C’est le signe de votre servitude. Tant que vous tiendrez à votre sofa en peluche, vous resterez esclaves.

Vos chefs n’ont jamais pensé à eux-mêmes, ils n’ont pensé qu’au peuple et au prolétariat. Vous pouvez juger vous-mêmes du succès. S’ils n’avaient pensé qu’à eux-mêmes, s’ils s’étaient concentrés sur eux-mêmes, ils seraient devenus des êtres humains. Mais ils sont devenus des bonzes du parti et vous des esclaves.

Je veux vivre suivant mes propres lois. Je veux être mon propre roi, et en être en même temps l’unique sujet. Nul gouvernement au-dessus de moi et nul gouverné auprès de moi.

Faites de même ! Dites : Je veux ! Dites : Je ne veux pas !

Je n’ai nul besoin de vous. Ni pour diriger, ni pour être dirigé. Non parce que je suis fort, non parce que je suis trop fier, mais parce que je tire parti du fait que je pense. Parce que je n’emploie pas le talent donné à tout homme pour qu’un autre en tire parti, pour être condamné à la servitude.

Faites de même !

Si je veux bâtir une maison trop difficile à bâtir avec mes deux mains, je vous demanderai : Aidez-moi ! Si vous pouvez venir, je vous rendrai la pareille quand vous aurez besoin d’aide. Mais je ne viendrai certainement pas en rajouter et faire de vous des esclaves utilisables.

Ma vie est en sécurité tant que je respecte la vie sacrée de mes semblables. Je n’ai pas besoin qu’on veille à ma sécurité devant ma porte, parce qu’on ne peut rien me voler. Il n’y a de pillards que là où l’homme possède plus qu’il ne lui en faut alors qu’un autre n’a pas suffisamment.

Mais vous avez besoin de la police. Lorsque deux de vos femmes se chamaillent, vous courez à la police. Quand quelqu’un vous emporte une vieille pantoufle, vous appelez la police. C’est vous qui engraissez la police, qui gavez les juges. En faisant appel à la police, vous lui donnez le droit de démontrer qu’elle est nécessaire.

Mais je vous le dis : Il vaut dix fois mieux, et pour des siècles et des siècles, que la police vienne vous chercher que de faire appel à elle. Celui qui a besoin de la police, la police l’engloutira ; tandis que celui qui n’en a pas besoin, c’est lui qui l’anéantira.

Détruis donc la vie économique, non seulement de l’intérieur, mais encore de l’extérieur. C’est sur les ruines de l’industrie que fleurit ta liberté, non sur ses forteresses et ses châteaux.

L’encens à l’église ou le bavardage dans les meetings, c’est la même chose. Lire ou même acheter un journal revient au même qu’apprendre des cantiques par cœur.

Nul dieu ne t’aidera, nul programme, nul parti, nul bulletin de vote, nulle masse, nulle unité. Je suis le seul capable de m’aider. Et c’est en moi-même que j’aiderai les hommes dont les larmes débordent.

Je m’aide moi-même. Frère, aide-toi ! Agis ! Sois volonté ! Sois action !

Tu cries : Vive la Révolution mondiale ! Cela sonne très bien. Mais les câbles téléphoniques sont-ils déjà entre tes nains ? As-tu déjà fait sauter une rotative ? Tu cries : Vive la Révolution mondiale ! Mais ton frère, que tu tiens embrassé, n’entend déjà plus ton cri. Comment l’univers pourrait-il l’entendre ?

Ne t’achète pas d’habit du dimanche et n’aie pas honte, chez toi, de dormir sur une caisse, et d’aller en riant par les rues huppées sans fond de pantalon ; c’est plus faire pour la révolution que chanter L’Internationale ou étudier les tours de passe-passe qu’on à vendre les papes de Washington ou de Paris.

De tout temps, les peuples libres ont été subjugués d’autant plus aisément qu’il était facile de les persuader que vêtir un pantalon de coton est plus beau que d’aller tout nu. Ce sont ces pantalons de coton, dont ils n’avaient nullement besoin et qui ne servaient qu’à leur faire croire qu’ils deviendraient les égaux des bourgeois, qui en ont fait des valets livrés à l’exploitation.

La misérable pacotille de l’émigré ou le sofa en peluche de la femme de prolo, c’est la même chose. Elle fait de l’homme et de la femme toute une classe des esclaves.

Ne raccommode pas ce qu’il faut déchirer !
Ne soutiens pas ce qui doit s’écrouler !

Si une pierre se détache des citadelles de la vie économique et des forteresses de l’industrie, lance-leur aussitôt cent autres pierres.

Si tu ramasses ne serait-ce qu’une seule des pierres qui se détachent et que tu la remettes en place, ta trahison n’est pas moindre que la trahison de l’espion qui te surveille.

Arrache à ton adversaire ses armes qui sont les plus meurtrières. Ses armes les plus meurtrières ne sont pas les canons et les soldats. S’il n’y a pas ton travail derrière, l’or vaut moins qu’un peu de sable.

C’est dans l’industrie que tu veux te dépouiller de tes chaînes ? C’est avec une économie florissante que tu veux abattre ton adversaire ? Ne le disais-je pas que tu es un bourgeois parce que tu penses comme un bourgeois ?

Les affaires du bourgeois ne pourront jamais être les tiennes. L’industrie, qui a donné au bourgeois le pouvoir de t’asservir, ne pourra jamais t’apporter la liberté ou la vie.

L’industrie, telle qu’elle est, ne pourra jamais répondre à ton besoin d’égalité. L’industrie, telle qu’elle est, ne produit rien d’autre que des armes pour t’asservir.

Le chef t’en parlera autrement. C’est bien pourquoi il est chef, et c’est bien pourquoi tu es mené.

Les géniteurs d’enfants s’engluent dans la servitude. Les esclaves engendrent des enfants. Chaque enfant que tu engendres est un anneau de ta chaîne d’esclave. Achète-toi un sofa en peluche et engendre un enfant, c’est la même chose, qui concourt au même but.

Que tu t’agenouilles et pries Dieu ou que tu remettes tes affaires dans les mains d’un chef, c’est la même chose.

Que tu t’achètes un missel ou une carte du parti, c’est la même chose.

Rejette la pitié hors de toi, car la pitié est la révolution du bourgeois.

Ne pleure pas les victimes qui tombent dans la lutte ; car la larme qui brille dans ton œil emplit d’un espoir de victoire celui que tu dois anéantir.

Que t’importe les victimes qui ont été déchirées par les dents du monstre que tu étais né pour anéantir ? Plus grand est le nombre de victimes que le monstre dévore, plus sûre sera sa fin. Si les dieux eux-mêmes sombrent de faire trop de victimes, pourquoi ce monstre n’en succomberait-il pas plus vite ? Que le monstre dévore les victimes, qu’il soit contraint de s’en encombrer ou de les laisser pourrir dans la rue jusqu’à ce qu’ils empestent l’atmosphère, cela revient au même ; leurs larves dévoreront le corps du monstre.

Tant qu’il y aura des affamés à côté de repus, la pitié des repus sera une insulte aux affamés, et la pitié des affamés vis-à-vis des victimes une consécration et une reconnaissance du droit des repus à être rassasiés aux dépens des affamés.

Entendez, vous avez des oreilles pour entendre !

Pensez, vous avez des cerveaux pour penser !

Mais ne croyez pas !

Ne croyez rien !
Ne faites pas confiance !

Ne faites confiance qu’à votre propre force !

Les peuples n’ont pas d’armes et n’ont pas de journaux. Mais ils détruiront l’empire bourgeois par leur résistance silencieuse. Tous les canons, toutes les bourses d’or du monde n’y pourront rien. Est-ce que vos affaires ne sont pas aussi sacrées que celles des peuples ?
Vous êtes morts sur les champs de bataille pour ceux que votre trépas a engraissés. Eh, bien, mourrez pour vos propres affaires !

B.TRAVEN

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