Ferranti Ferrante, photographe; Samoukan Assaad, peintre; Nizar Ali Badr, sculpteur
LA POÉSIE SE MEURT
Mon cher poète,
Pour ce qui est de la versification de mes derniers poèmes, je dois te dire que je découvre qu'aujourd'hui, après la trique métrique des classiques et les grandes orgues de Hugo - et jusqu'au vers libre de s'envoyer en l'air de Prévert, nous avons appris à parler autrement, et alors je reviens à l’alexandrin avec un autre souffle, les pieds n'ont pas la même plasticité sur le goudron ou le béton et l'on parle plus savamment qu'avant, en marchant, mais aussi plus approximatif en courant sur le temps qui s'entasse comme feuilles mortes, le temps, le rythme, à qui on ne donne plus le temps de pourrir, ni aux graines d'avoir mûri, ni aux printemps de fleurir, que déjà l'on mange des prévisions capitales qui amenuisent la provision des récoltes et c'est pourquoi je t'avertis, que les poètes d'aujourd'hui se suicident avant d'avoir écrit leur premier vers, comme si à peine sorti de la mer l'on cherchait déjà la sortie, l'éloignement fugace du créateur - honni soit-il, avec la patience qui était une science au temps où les sages prenaient le temps de s’asseoir avant que d'égrainer leurs chapelets de contes, oui, monsieur l'écrivain, demain n'aura plus deux mains, mais qu'un seul doigt dressé pour pianoter des onomatopées, et nous aurons des machines poétiques numérisées à l'usine des idioties, les langues engourdies ne prononceront que quelques codes qui formeront des hiéroglyphes d'une pyramide à l'envers du ciel depuis que l'enfer tombe ici entre les mausolées et les banques du silence cadenassé, et tout cela construit par des travailleurs qualifiés, avec les plans d'ingénieurs de talent, l'administration de fonctionnaires zélés, tous commandés par les banquiers qui, par le passé nous ont montré comment crucifier l'amour et exterminer la beauté. Les vers retourneront à leur premier ministère, au champ inquisiteur des cimetières, la poésie se meurt… J’espère bien t’avoir fait pleurer pour que tes larmes adoucissent l’amère douleur de nos pieds nus sur le sable brûlant de notre exode.
Pierre Marcel Montmory - trouveur
Comme le disait Xénophane : Nous sommes de la terre et de l'eau!
Mais là, c'est la souffrance des déracinés dans ces vers. Covix