LA PUTAIN DE DIEU
(Indulgence)
Poupée de cire molle au masque triste. Sa bouche carnée aux dents noires, elle sourit. Sur le fond bleu de ses yeux, coulent les traits de la nuit.
Des mains croisées qui font fléchir les ans. La bourse nouée autour du poignet, elle défait sa chevelure. Et chaque jour recommence sa triste romance.
À guichets fermés les soirs d’abondance, loin des lieux saints, mais aux lieux d’aisance, où le bourgeois propret et vulgaire déballe sa bourse sur un comptoir.
La putain de Dieu officie dans le club des déportés de l’enfance. La rose entre les dents elle a figuré pour la science entre deux potences.
Tous les mots vont pour elle. Mais aucune nuit ne lui ressemble. A la putain de Dieu, quoi ; des nuits et des nuits à marcher – comme s’il ne pouvait jamais faire jour.
Le bord de sa lèvre supérieure frissonne et elle a un léger rictus nerveux qui lui fend la joue. Elle regarde les néons coloriés dans la brume blafarde. Une ombre épaisse de sueur, avec une haleine chaude d’alcool et de tabac, stationne devant elle.
Soldate au garde à vous, poupée de plastique dur, lisse et polie. Peinte au vernis. Ses faux cheveux blonds tirés en arrière pour dégager son front hautain et stupide. Elle affiche le prix de sa liberté.
Le client morose renâcle en grimpant derrière sa croupe jusqu’à une balustrade, d’où, autrefois, on jeta un exilé par une fenêtre.
Elle craint la lumière et ferme le rideau. Elle cache la vue plongeante sur son secret que le chaland pourrait voir en passant devant la vitrine de la boutique.
La rose de nuit, fleur de nenni, garde la pose au champ d’honneur ; pour la bonne cause ou le malheur. Et Dieu lui tient sa main pour lui souffler un baiser.
Dans le miroir son visage se ranime et le rouge de son sang sur le blanc de ses joues. Son sourire efface les tirades de la nuit.
Le jour seul voit ses rides pendant son sommeil. Sur le lit d’un hôtel, elle ferme les yeux.
Pierre Marcel Montmory - trouveur