Comment la vie a commencé
Lecture exposée et critique d’un ouvrage passionnant du professeur en biologie Alexandre Meinesz
Introduction conciliatrice
« Aujourd’hui […] de nouvelles connaissances conduisent à reconnaître dans la théorie de l’évolution plus qu’une hypothèse. Il est en effet remarquable que cette théorie se soit progressivement imposée à l’esprit des chercheurs, à la suite d’une série de découvertes faites dans diverses disciplines du savoir. La convergence, nullement recherchée ou provoquée, des résultats de travaux menés indépendamment les uns des autres, constitue par elle-même un argument significatif en faveur de cette théorie. »
Jean-Paul II, L’église et l’évolution ; message du pape à l’Académie pontificale des sciences, 22 octobre 1998. (p. 199)1
Il peut sembler bien ironique de commencer un billet synthétique sur l’évolution de la vie sur Terre (vue par un biologiste) par une citation ne devant son prestige ni à Lamarck (1744-1829), Wallace (1823-1913) ou Darwin (1809-1882), mais à sa sainteté feu Jean-Paul II (1920-2005)… Il n’en demeure pas moins que le Vatican s’avère posséder – je l’apprends comme vous – une Académie pontificale des sciences… On ne saurait être mauvais juge d’une volonté de l’Eglise, que de reconnaître, même avec plusieurs siècles de retards, que les croyances ne sont en rien menacées par les vérités scientifiques ; car, en matière de questionnements métaphysiques, autant sur le sens de la vie, que sur la nature de l’être ou de l’âme, que sur la question des origines ou des fins, ni les sciences, ni les religions – ni les philosophies -, ne peuvent aboucher sur une réponse indubitable. Nous le verrons tout du long de cet exposé personnel, inspiré d’un livre extraordinaire, que les lacunes factuelles (les pièces à convictions, si justement nommées…), tout du long des déterminations aléatoires et contingentes de l’évolution de la vie, sont tant et si bien infimes et éloignées des causes originelles, qu’elles ne seront, pour l’essentiel, rien de plus qu’hypothétiques et au mieux rationnelles. Le dessein divin est susceptible d’être maintenu aux extrémités de chacune des grandes énigmes scientifiques – et Dieu sait (surtout lui) qu’elles n’en manquent pas… La petite guerre qui oppose toujours les athées convaincus des religions ou des sectes, relève bien plus du dogmatisme idéologique de chacun (la certitude de détenir une vérité apodictique) que de confronter des interprétations du monde susceptibles de ne pas nuire aux faits scientifiques, aux évidences matérielles – aussi maigres soient-elles. Tout ce qui relève de l’hypothèse est bien entendu libre de considérations, et il en va ici de la majorité des questions qui intéressent précisément les croyants. L’affrontement entre science et conscience ne saurait donc trouver matière qu’à se jouer sur le terrain de la morale et non sur celui de la prétendue suppression de Dieu par quelques faits matériels que ce soient. C’est moins la nature orgueilleuse et égoïste de l’homme qui puisse poser souci que son tropisme hégémonique…
Le pragmatisme environnemental et cognitif de l’homme préhistorique
De la préhistoire à nos jours, l’homme a laissé les traces non seulement de son activité, mais aussi de ses questionnements métaphysiques ; comment la pensée abstraite, pourriez-vous objecter, peut-elle parvenir à laisser la moindre trace ? Tout simplement, par le biais de l’art, de la création artistique ; car l’art est un mode de créations matérielles – qui laisse des traces – et dont la finalité ne relève pas de la stricte utilité pratique. Or, une création n’ayant pour but la pure praticité, ne saurait relever d’autre chose que d’une nécessité abstraite, cognitive, méta-physique. Les sépultures font notamment partie des premières créations humaines prouvant chez certaines espèces préhistoriques, l’existence d’un souci post-mortem ; la sépulture n’a, par elle-même, aucune signification pratique ; le corps d’un défunt peut tout aussi bien être laissé à l’abandon sur le sol, comme dans le cas de la vie animale ; ou tout au plus être enterré, pour protéger celui-ci des mammifères et autres oiseaux charognards – ce qui dénote déjà d’un souci affectif pour le défunt, pour son corps, pour le respect de son intégrité. On entre déjà, par le principe d’ensevelissement, dans le cadre d’une pensée humaniste, c’est-à-dire qui vise à voir dans l’homme autre chose qu’un pur objet sans valeurs, sans significations ; mais l’invention du rite funéraire, de la sépulture comme du rite en lui-même, des chants, de la danse, en un mot : de l’art, dont Georges Bataille2 a bien compris qu’il ressortait tout entier de la conscience de la mort, que toute la métaphysique humaine et ses représentations esthétiques, sortent du cimetière, en premier lieu ; et que toutes ces tombes, ces fresques préhistoriques, ces statuettes, qui nous sont parvenues à travers le temps, sont les signes d’une activité de la pensée, c’est-à-dire d’une préoccupation du sens de la vie – qui ne témoigne pas d’autre chose que d’une nécessité humaine que de trouver un sens à la mort... Autant dire que la métaphysique et les arts, qui s’en rapportent, se sont développés bien avant les civilisations elles-mêmes. La sépulture comme fondement a priori de sa raison pure, de son sapiens sapiens (qui sait qu’il sait), de l’activité de sa conscience morale ou pré-morale. A l’échelle préhistorique, la raison pratique sert bien entendu à inventer de nouveaux outils, à améliorer sa condition matérielle,à organiser la tribu, etc. Mais la raison pure, abstraite, servait déjà, et pas uniquement en l’homme moderne, à élucider ou à donner une interprétation rationnelle, sécurisante, rassurante, de la condition humaine – bien trop brutale et violente, plus encore évidemment dans la préhistoire, pour être supportée sans artifices. C’est donc toute l’évolution humaine qui suit le développement de son cerveau, qui induira ce que l’on nommera à l’apogée qui est la nôtre aujourd’hui : sciences, philosophies, arts, croyances, religions, qui consacrent son génie, en tant qu’espèce dominante3. Les étapes de cette évolution sont perpétuellement repoussées dans le temps, à mesure que des découvertes sont faites. Parmi ces moments clés de l’évolution humaine, Alexandre Meinesz, professeur de biologie à l’université de Nice-Sophia Antipolis, dans son livre sur le commencement de la vie, relève les points suivants :
= 2,6 – 2,5 millions d’années : les premières pierres taillées
= - 790'000 ans : les premiers foyers prouvant une maîtrise du feu
= - 100'000 ans : les premières preuves de rites funéraires, sépultures, offrandes
= - 32'000 ans : les premières peintures rupestres
Il est intéressant de noter que l’apprentissage des techniques suit l’évolution et le développement du cerveau, qui n’a de cesse que de gagner en volume tout du long de ces révolutions. L’homo sapiens sapiens n’est pas le seul concerné par cet héritage ; les lignées humaines sont multiples et sont même, parfois, contemporaines les unes des autres. On parle d’ailleurs aujourd’hui de métissages entre néanderthaliens et homo sapiens. Les néanderthaliens maitrisaient aussi le feu et concevaient des parures en os sculptés, enterraient leurs morts sous des sépultures, et oeuvraient avec des outils en pierre. Impossible en l’état de considérer que l’homme de Neandertal fut plus ou moins intelligent que son homologue Cro-magnon. Ils disparurent pourtant il y a à peine 24'000 ans, laissant le descendant direct de Cro-magnon, seul survivant en sa propre espèce, pour des raisons encore inconnues. Cro-magnon est parvenu à la conscience d’avoir conscience il y a seulement 35'000 ans, passant d’homo sapiens à sapiens sapiens. Reste que, aussi rudimentaires que furent leurs organisations sociales – et bien moins surfaites qu’on ne le croit -, ils détiennent encore aujourd’hui le record de longévité historique, plusieurs dizaine de milliers d’années à vivre sous la forme de tribus nomades plus ou moins expansives. L’homme civilisé saura-t-il faire de même ? Compte tenu de son impact sur l’environnement et de son irresponsabilité (par artificialisme exacerbé), on oserait dire : c’est mal engagé… Sans doute y a-t-il un progrès technicien ; mais il est probablement nécessaire aussi d’évoquer une régression – non par le progrès dont l’étymologie est sans appel – mais par cette même technique désengagée des réalités premières. Une régression technicienne, en somme, artificielle, civilisationnelle. Le fait est que la connaissance de nos ancêtres, nous ramène à des réalités évidentes et qui agissent comme un retour à la raison naturelle, par le biais de nos origines moins adamiques que simiesques et sauvages. En nos temps par trop civilisés, la raison nous précède, comme la préhistoire précède l’histoire. La paléontologie, comme l’anthropologie, la biologie, opèrent ici à la manière d’un retour aux sources ; et rien ne s’est perdu d’essentiel, pour ainsi dire, jusqu’à nous, nous allons le voir, des premières bactéries que la Terre ait connu, aux multiples révolutions techniques et anatomiques de la lignée homo sur les millions d’années ; d’où l’insistance d’Alexandre Meinesz, à nous faire bien comprendre que rien de l’évolution humaine n’eut été possible, sans une capacité étendue d’apprendre et de transmettre ; sans les facultés et la mémoire nécessaire à ce type de procédés sociaux et intellectuels, rendus possibles par le développement organique du cerveau humain. Pas étonnant à ce titre que les développements pratiques de l’homme aient suivi ceux de son cerveau – le lien des uns aux autres s’opérant très certainement à parts égales d’influences ; une région du cerveau n’ayant pas plus d’intérêts à se développer si elle n’était pas mise à l’épreuve par une nécessité quelconque de nos descendants à travers le temps. Le cerveau, pourrait-on dire, lui aussi, ne s’use que quand on ne s’en sert pas… Le développement fut autant progressif (qualitatif) qu’aléatoire, en fonction des besoins et des découvertes. Le hasard et la nécessité, la découverte et l’utilité, orientent l’intelligence depuis nos origines et induisent par-là même, très sûrement, les développements cérébraux adéquats. Ce que les religions conçoivent généralement comme étant mu par un dessein divin ne relève a priori que d’un pragmatisme immanent. Alexandre Meinesz rejoint cette lecture : le réel est premier, l’environnement est capital en matière d’adaptations et de nécessités adaptatives et évolutives. Pas seulement ; nous le verrons plus tard, lorsque j’aborderai le chapitre de la reproduction et des échanges génétiques ; mais pour l’heure, aucun changement évolutif ne tombe du ciel : les interconnexions entre neurones rejoignent celles des nécessités extérieures en lien avec les modifications intérieures. On rêverait ici de lire, en plus de la lecture d’un biologiste, celle, pourquoi pas, d’un neurologue… Lorsque l’on évoque de nos jours, pour certaines espèces, des « stress » évolutifs, on imagine bien toute la dimension hautement prégnante, dans le réel, d’un tel stress. En matière d’évolution et surtout d’adaptation, il s’agit toujours d’une adaptation à un milieu déterminé.
Les aléas historiques des théories évolutionnistes
Avant que l’homme moderne ne parvienne à embrasser ses origines sans faire la moue, il fallut passer par une extraordinaire épopée de l’esprit. Tant d’anciens paradigmes s’opposaient à la compréhension même de ce dont il est question ici. L’affirmation selon laquelle l’homme descendait du primate, a fait à elle seule un considérable raffut du temps de Darwin (un « buzz » du XIXème) et lui valut, d’ailleurs, d’être ridiculisé tous azimuts ; de la même manière que l’héliocentrisme ou la rotondité de la Terre, occasionna excommunications, bûchers, quelques siècles plus tôt. Avant donc que les sciences ne puissent faire usage de leurs libertés (précarisées depuis pour des raisons économiques), ce sont les grandes religions qui dictèrent à tous leurs visions du monde sur des millénaires entiers. A tous, c’est-à-dire à la majorité ; chaque époque ayant toujours connu ses réfractaires, parfois célèbres et plus souvent anonymes – comme en témoigne à elle seule la querelle de l’athéisme, y compris en des périodes où tous les grands esprits sont croyants. Dès le XVIIème siècle, nombre de savants étaient persuadés que la genèse biblique, telle que contée par les Ecritures, n’était pas conforme à la réalité. La Bible fixe à 4000 ans av. J.-C la création du monde ; et nous savons tous pourtant aujourd’hui que de Pie IX (qui condamna les travaux de Darwin) au Carbone XIV, c’est bien ce dernier qui a raison… Toutefois, Alexandre Meinesz a raison d’insister sur la symbolique des récits religieux, en matière de genèses ou de créations du monde ; car, sur un plan allégorique, ou poétique, disons symbolique, les interprétations mythiques renvoient à des intuitions ou à des similitudes avec ce que la science donne à imaginer des origines ; notamment lorsque les récits chinois, judaïques, coraniques, et, in fine, tous les récits des origines, convoquent les quatre éléments, les mettent en scènes, de différentes manières, avec le vide et le plein, le déluge, le néant, l’œuf primordial, les dieux-animaux, la foudre, le tonnerre, les ténèbres, la lumière, la mer, le feu, les premiers ancêtres (Adam et Eve), etc. ; autant d’intuitions faisant sens, tantôt métaphorique, tantôt allégorique et tantôt presque scientifique. L’objectif des rédacteurs des livres saints, n’était-il pas de procéder à une même exigence que celle que la science porte aujourd’hui : donner une représentation des origines et du monde, qui, bien que mythique, puisse s’avérer tout de même quelque peu probante ? Malgré tout, sans l’épisode de la Révolution française, la libéralité des sciences, sur ce sujet comme bien d’autres – notamment médicaux -, aurait elle aussi souffert nombre de déconvenues. C’est ainsi qu’en 1800, profitant en un sens des nouvelles libertés politiques, le français Lamarck, professeur au Muséum d’histoire naturelle de Paris, à qui on attribue la paternité du mot « biologie », fut le premier à évoquer la transformation des espèces, en se basant sur une étude de lignées de volatiles ou de coquillages fossilisés dans diverses couches superposées. Il étendit son analyse évolutionniste à l’homme et au singe, tout en estimant l’origine du monde à quelques millions d’années. Une théorie remarquable, antérieure à celle de Darwin, et dont nombre d’intuitions sont déjà présentes, jusqu’à la transmission des caractères acquis pendant l’existence des géniteurs, par le biais de l’hérédité. Premier éclair évolutionniste, bien vite discrédité par le retour du Clergé aux affaires (en 1809). La théorie de l’évolution ne fut toutefois pas « découverte » par Darwin, mais plutôt : correctement formulée par lui ; car, après la tentative partielle de Lamarck, c’est un certain Alfred R. Wallace, explorateur et naturaliste, qui, en 1857, devait faire parvenir à Darwin, une synthèse de ses observations de la jungle indonésienne, dans lesquelles, Darwin, lui-même déjà très au fait de la transformation dans le temps des espèces, reconnu non sans effroi que son « disciple » marchait exactement sur la même voie que lui. Quand les grands esprits se rencontrent, l’orgueil pâtit… Wallace avait été préalablement très intrigué par les espèces étranges qui peuplaient principalement les îles ou continents insulaires (Australie, Nouvelle Guinée, Malaisie, Indonésie) ; il était informé sur le terrain, lui aussi, du principe de la sélection naturelle, qui, contrairement à la théorie de l’hérédité lamarckienne, favorise et sélectionne les caractères les plus adaptés à un milieu donné. En conséquence de quoi, lorsqu’une population animale est séparée de sa population d’origine, celle-ci se trouve fatalement soumise non seulement à une absence d’échanges génétiques avec la première, mais également à un environnement différent, induisant des principes de sélections différents. Avec le temps, les deux populations naguères semblables, se voient dotées de différences génétiques et souvent morphologiques importantes. Darwin, qui avait lui-même fait un tour du monde entre 1831 et 1836, étudié les pinsons des Galápagos, connaissait depuis plus de vingt ans déjà, le phénomène mêmement décrit par Wallace. La formulation la plus exacte de la transformation des espèces revient donc à la paternité des deux auteurs en commun ; comme ce fut le cas à Londres, en 1858, où les deux travaux seront portés en même temps à la connaissance de la communauté scientifique. Rare cas, pourrait-on dire, de fair-play en matière de postérités savantes… Même si Pie XII commençait à douter de sa fausseté, les créationnistes, imaginez-donc, poursuivent aujourd’hui encore, sans l’aval de l’Eglise, leur fanatisme obscurantiste, avec plus ou moins de succès : le président Georges Bush en personne, ayant déclaré en 2005, que les thèses de l’ « Intelligent Design » devaient être enseignées dans les écoles américaines… Un sondage paru dans Science (313, Miller et al. 2006) en ce début de XXIème siècle, démontre que 45 % des adultes américains souscrivent à la thèse de l’évolution des espèces, pour 80 % des français… Les 20 % restant sont tout de même surprenant !... Qu’il est toujours très mal venu que de laisser, en quelque époque que ce soit, l’éducation en friche.
A la croisée des disciplines
Dans son livre passionnant, Comment la vie a commencé1, Alexandre Meinesz décide de donner une description et une vision de l’évolution, sous le regard croisé de plusieurs savoirs – comme le feront tout récemment les éditions la ville brûle, en convoquant dans leur ouvrage De l’inerte au vivant4, divers scientifiques et philosophes, de multiples disciplines, afin de confronter entre eux leurs visions sur ce thème. La vie est Une et, nous retrouvons ici le monisme des philosophes du XVIIème, de même que l’ambition des Lumières – qui était déjà celle du gentilhomme de la Renaissance – que de parvenir à une connaissance plurielle, encyclopédique, du monde. Ici encore, l’origine de la vie ne devient passionnante qu’à la croisée des disciplines, comme à la croisée des vérités – celles-ci induisant un relief en plusieurs dimensions pour le moins saisissant. A défaut de la table ronde de la collection 360, susmentionnée, Alexandre Meinesz convoque, selon ses propres connaissances, tous les savoirs qui lui font défauts en tant que biologiste, pour éclairer plus encore la vision « partisane » qui est la sienne, mais suffisamment rare, sur ce thème, pour qu’elle apporte beaucoup. En effet, raconter l’histoire présumée de la vie, sous l’angle moins du paléontologue ou de l’anthropologue, que du biologiste, sinon du philosophe, voilà qui ne saurait manquer de révolutionner quelque peu le regard que l’on puisse poser sur un nombre considérable d’acquis bien plus éclatés que rassemblés. La rareté de ce types d’exercices ne peut qu’étonner ; la biologie étant a priori la branche scientifique ayant le plus de choses à nous dire sur les premières formes putatives de la vie ; physique et biologie, nous le verrons, étant là aussi étroitement liées.
De l’infiniment grand à l’infiniment petit
Le système solaire s’est formé il y a 4,568 milliards d’années, par accrétion de matières (gaz, roches) gravitant autour de ce qui allait devenir le futur soleil (lui-même en formation) et fusionnant entre eux par impacts interposés. 100 millions d’années auront suffi pour voir apparaître la naissance des planètes, satellites et autres astéroïdes. Lors de sa formation, on estime que la Terre aurait été heurtée par un astre de la taille de Mars ( !), la planète Theia, fusionnant avec la Terre pour partie, et éjectant autour de celle-ci des matériaux incandescents issus des deux astres, appelés à former la Lune. L’événement reste encore hypothétique et apparenté de nos jours aux mystères de la formation de la Lune, non encore résolus. L’eau serait tombée sur Terre il y a 4,4 milliards d’années par l’apport régulier et conséquent de comètes (glacées) et d’autres roches contenant quantité d’eau, ce qui n’est pas sans rappeler le Déluge de la Bible, ce d’autant plus que les océans ont dû plus d’une fois s’évaporer pour retomber en pluies, à différentes étapes de le fournaise. La jeune planète connaît en effet une activité géologique, volcanique, importante. Entre 3,9 et 4 milliards d’années, le système solaire connaît un intense bombardement météoritique – toutes les matières en déshérences issues de l’accrétion des gaz du jeune système solaire, provenant d’une nébuleuse plus ancienne, s’écrasent sur les différentes lunes ou planètes – au point d’ailleurs que la grande majorité des impacts lunaires, encore visibles aujourd’hui, appartiennent à cette même période. Il faut imaginer un astre sombre, sans ciel autre que la nuit étoilée – et encore ! – dont la terre émergée reste parsemée d’un tapis irrégulier de roches et de laves sombres, gluantes – masquées, probablement, sous les gaz – et illuminées au sol par les foyers plus actifs autour des premières plaques – la tectonique se mettant en place dès la formation de la première croûte. Impossible en l’état de fixer des dates fiables sur la composition des océans, étant donné qu’au moindre impact d’envergure – très fréquent -, à la moindre instabilité volcanique ou redevable de la fine écorce terrestre, les océans ont dû nombre de fois bouillir… Il fallut encore nombre de millions d’années pour obtenir une parcelle géologique et océanique suffisamment accueillante et stable pour y permettre l’apparition de la vie. Pour l’heure, nul oxygène, ni dans le ciel, ni dans l’eau – pas de ciel bleu, évidemment ; l’ozone étant dépendant du précieux gaz, tout comme le gaz carbonique. Les rayons ultraviolets du soleil devaient stériliser la surface en permanence – et on oserait douter d’une chimie possible sans l’intervention d’un quelconque liquide ou gaz permettant aux interactions chimiques de se produire et de se rencontrer… C’est donc bel et bien dans les océans ferrugineux de la fin de l’hadéen5 que l’origine de la vie reste la plus probable ; d’autant plus que, les roches fossiles permettant de déterminer ce qu’il se passait en de si lointaines périodes, sont rarissimes et que les premiers foyers de vie devaient être nécessairement localisés. Pour que l’oxygène produit par la vie puisse commencer à faire rouiller le fer, et à provoquer les dépôts associés – qu’ils soient suffisamment concentrés pour être remarqués dans des strates aussi parcellaires - on imagine le nombre de millions d’années s’écoulant sans perception possible d’une quelconque activité biologique, déjà existante, et en voie d’expansion généralisée, sur une planète instable. On ignore d’ailleurs, comment sont arrivés ou se sont formés et à quoi pouvaient ressembler les premiers organismes vivants bactériens ou pré-bactériens. Ce qui est sûr, c’est que les bactéries qui produisirent l’oxygène terrestre et qui provoquèrent l’altération du fer sur Terre, devaient être des bactéries chlorophylliennes, c’est-à-dire végétales. La chlorophylle permet en effet la photosynthèse ; en recourant au photon de la lumière, la bactérie parvient à synthétiser des matières organiques en utilisant l’eau, le carbone et les sels minéraux – tout en produisant un déchet de cette opération : l’oxygène. Oui, l’oxygène – qui nous permet de respirer et de vivre – est un déchet pour nos amies vertes. Il n’en reste pas moins qu’avec un tel mécanisme (lumière, eau, sels minéraux, carbone), les bactéries végétales s’auto-suffisaient et étaient « autotrophes », du grec « trophé », qui signifie « nourriture », c’est-à-dire qu’elles étaient pleinement autonomes sur un plan énergétique !… Elles n’avaient rien besoin d’autre qu’elles-mêmes pour se nourrir et se dupliquer ! On imagine mal paix plus étale pour des organismes aussi rudimentaires, se suffisant à eux-mêmes et, sans avoir à chasser quoi que ce soit, n’ayant pas d’autres buts que de se reproduire… Les plus anciennes traces de vies ont été découvertes en 1998 et étayées en 2004 et en 2010, au Groenland, témoignant d’une activité biologique remontant à 3,85 milliards d’années ! Celle-ci s’est donc déjà développée en amont de cette date, extrêmement précoce en regard de l’existence de la Terre. Les plus anciens stromatolithes, ne sont décelés qu’entre 3,45 et 3,47 milliards d’années ; étymologiquement, des « tapis de pierre », que formèrent des bactéries végétales colmatées, sur lesquelles se déposait de la vase ou du sable, les obligeant à une nouvelle phase de croissance, et ainsi de suite, pour former des strates coniques, immortalisées aujourd’hui dans la roche et s’étendant parfois, comme en Australie, sur des kilomètres de distances. Ces bactéries existent encore aujourd’hui, sur de mêmes littoraux australiens peu profonds… Plus le système est simple, plus il dure... Des bactéries chimiosynthétiques ont également été trouvées dans des strates remontant à 3,47 milliards d’années, attestant que des bactéries se nourrissant de soufres et en l’absence de toute lumière, vivaient près de sources hydrothermales ; comme aujourd’hui dans les grands fonds ; mais à partir de 3,4 milliard d’années, la variété bactérienne devient conséquente, on y trouve déjà, notamment, des bactéries méthanogènes. Il est sidérant de constater que le tiers du temps de la vie sur Terre n’a été peuplé que de bactéries… Voilà qui réduit – temporellement parlant – les chances de découvrir une civilisation extraterrestre qui puisse nous être contemporaine… Sur 4,5 milliards d’années qu’existe la Terre, un demi milliards n’est que feu et flammes, 2,5 milliards d’années ne sont le fait que de bactéries ou d’organismes unicellulaires, et le dernier demi milliards n’est constitué que des espèces animales complexes et pluricellulaires (entre 530 et 600 millions d’années) – l’apparition du genre homo ne tenant qu’en deux ou trois millions d’années et il n’y a que quelques décennies seulement que la civilisation humaine envoie des signaux à destination du ciel, soit 4,5 milliards d’années de silence radio, et 530 millions d’années de vers, d’arthropodes, de poissons, de reptiles, de mammifères et de singes… De quoi renvoyer la rencontre avec E.T. aux hypothèses les plus invraisemblables, autant en échelles de temps que d’espace ; car même si une planète se devait de pouvoir accueillir la vie, elle ne pourrait voir advenir une vie intelligente que sur un instant infime, perdu au milieu d’une très longue histoire vierge ou sauvage… Si des voyageurs s’étaient posés sur la Terre, tout du long de son histoire, ils n’auraient trouvés que déserts, ou glaces, roches, océans vides – au mieux : des algues… Dans la période toute récente, ils auraient fait une mauvaise découverte, sur le thème de Jurassic Park… Bien mal leur en aurait pris d’atterrir !...
Une définition préalable de la vie
Il apparaît somme tout difficile que de parvenir à éclaircir les origines de la vie, sans donner à celle-ci une définition précise. Alexandre Meinesz met bien entendu en avant, la définition du biologiste. La vie serait, premièrement, constituée de cellules organisées dont le métabolisme permet leur croissance et leur reproduction. Elles ont une faculté d’auto-construction, (autopoïétique), c’est-à-dire capables de régénérer leurs propres constituants en échangeant énergie et matière avec leur environnement. Le métabolisme apparaît donc ici comme l’ensemble des modifications chimiques propres au vivant ; il existe sous deux aspects différents : l’anabolisme, qui synthétise les molécules organiques complexes ; et le catabolisme, qui réduit ou catalyse les molécules en de plus petites. Autre point fondamental : toute vie bénéficie de la capacité de se reproduire ; c’est là un trait majeur et commun à toute forme de vie – la génération spontanée (ex-nihilo) ayant été invalidée par Louis Pasteur. Une reproduction toutefois soumise à des erreurs de copies nommées mutations, des transformations hasardeuses du bagage génétique – tantôt pour le mieux, sans effets, ou pour le pire. Et puis il y a l’interaction avec le milieu sur lequel repose la sélection naturelle, appelée par Meinesz « moteur de l’évolution du vivant. » Les conflits avec l’environnement obligeant les espèces à se transformer, à s’adapter dans le temps. Les organismes vivants disposent aussi d’une homéostasie, une régulation constante de l’environnement interne comme la température, l’acidité ou la salinité ; ainsi que les stimulis (ou affects) qui permettent à l’organisme de répondre aux sollicitations extérieures. Pour le chimiste, le vivant se réduit à ses composants « universels », jusqu’à preuve du contraire : carbone, hydrogène, oxygène et azote, et un soupçon de soufre et de phosphore – pour l’assaisonnement… Une définition du vivant qui cadre très bien avec la vie terrestre ; nous verrons que rien n’indique pour autant, qu’il en aille de même pour d’autres planètes – du moins, non sur le terrain des catégories universelles du vivant, que sur celles de sa chimie propre.
Une insoluble séparation entre végétal et animal
S’il est aisé ici que de donner une définition globale du vivant, plus ou moins pertinente, définir la distinction précise qui puisse séparer le végétal de l’animal, est une autre paire de manches… En effet, contrairement aux attentes, certaines réponses toutes prêtes ne suffisent pas à répondre à une question somme toute évidente. Dans son merveilleux ouvrage, aussi dense en informations qu’il n’est agréable à lire, de par la malice autobiographique de son auteur, Alexandre Meinesz nous invite au sein de sa classe, pour suivre son premier cours de l’année à l’attention de ses étudiants en première année de biologie. Le jeu de questions/réponses qui organise l’introduction de son cours évoque sans ambages les difficultés d’une question pourtant simplissime. Bien mal en prendrait à l’étudiant que de répondre pourtant avec logique : la photosynthèse. N’avons-nous pas toujours appris que les végétaux, tous aussi verts qu’ils sont, et ce depuis les premières bactéries connues, se distinguent des animaux principalement par leurs talents consommés pour leur autonomie photosynthétique ? Et bien non, car les champignons échappent à cette définition et ne sont pas considérés comme des animaux… Autre proposition : l’immobilité des plantes par rapport à la capacité qu’ont les animaux de se mouvoir par eux-mêmes. Hélas, pas mieux : les coraux et les éponges ne sont pas des végétaux et certaines algues sont dotées de flagelles pour se mouvoir dans l’eau… La cellulose qui recouvre leur paroi dure ? Même pas. Certains champignons en sont dépourvus au profit de chitine, que l’on retrouve dans les carapaces de crustacés et d’insectes ; sans parler d’animaux (ascidies) dont les protections sont en cellulose. La frontière entre végétaux et animaux n’est pas aussi évidente qu’on ne le croit ; elle est même suffisamment floue et ambiguë pour qu’il soit nécessaire de recourir à l’évolution des cellules primitives pour parvenir à comprendre l’origine de la distinction que l’on fait, de nos jours, entre la faune et la flore. A cet effet, Alexandre Meinesz va prendre pour exemple une tragédie écologique qu’il a connu de très près : l’invasion de la méditerranée par l’algue taxifolia.
De la limace vampire à l’algue tueuse
Le souci écologique de notre professeur niçois découle du bon sens : lorsque l’on est aux prises avec un envahisseur dans un milieu non préparé à son introduction, il est préférable de lutter contre lui non par des méthodes chimiques dont la toxicité ravagera d’autres espèces collatérales, mais par l’introduction raisonnée de son principal et unique prédateur. Il s’agit de lutter contre un problème naturel par une solution naturelle. A ce titre, on notera ici que les OGM, aussi inoffensifs qu’ils soient, s’avèrent pour le moins souvent inutiles, en ceci que tout organisme génétiquement modifié provoque en retour la modification (l’adaptation) de son prédateur… Autrement dit, les OGM ne font qu’imiter la sélection naturelle et la provoquer en sens contraire. Effet nul ou s’annulant ; d’où l’usage improductif des pesticides associés… Pour autant, introduire des coccinelles pour éradiquer les pucerons peut s’avérer autant efficace et écologique que, dans d’autres situations, tout autant problématique. Il est nécessaire, ce faisant, de bien connaître le régime alimentaire et la nature de l’espèce que l’on espère introduire à des fins de lutte antiparasitaire ; car il s’est déjà avéré que l’introduction aux Caraïbes d’un papillon dont la chenille dévore un cactus bien spécifique - cactus ayant envahi des centaines de millions d’hectares notamment en Australie -, se soit par la suite mis à dévorer les autres variétés de cactus locaux, pour finir par s’étendre lui-même jusqu’au Mexique ou en Floride où les cactus sont emblématiques !… La solution se transformant pour le coup en problème du même type : en envahisseur. Pour lutter contre la Caulerpa taxifolia en méditerranée – l’algue tueuse -, fut introduit une limace « vampire », Elysia, dont la voracité ne se trouve être orientée que vis-à-vis de cette algue, pour des raisons qui appartiennent, semble-t-il, à la forme de leurs bouches ou à la faible épaisseur de l’écorce de l’algue. Plus encore, la méthode d’ingestion de la limace est aussi spécifique que la nature de l’algue : à savoir que celle-ci plante ses crocs dans la cellule unique de l’algue, pour en aspirer le cytoplasme. Sucions impossibles avec les autres algues qui ne sont pas constituées d’une cellule unique, mais de cellules multiples, variables, et étroitement corrélées comme les nôtres, desquelles il n’est pas possible de tirer quoi que ce soit par sucions. Spécifiquement prévue pour s’en prendre à cette algue, la limace « vampire » était toute indiquée, car elle n’aurait jamais pu s’étendre à la prédation démesurée d’autres variétés locales. Telle est la précaution à prendre dans le cadre de cette lutte écologique contre des envahisseurs déterminés. Mais cette perfide limace – forte utile au demeurant – n’en est pas à sa première singularité ; en sirotant le cytoplasme des caulerpes, elle ingurgite en même temps ses toxines, et les utilise comme moyens de défenses contre les prédateurs qui ne feraient qu’une bouchée de cette voyageuse solitaire et impénitente, qui arpente le fond des mers dans sa pleine visibilité. Plus surprenant encore, dans son environnement naturel, notre limace ne trouve pas nécessairement de caulerpes à tous les carrefours et il se peut qu’elle doive errer un bon moment avant d’en dénicher une ; leur énergie et leur autonomie étant limitées, celle-ci va jusqu’à s’approprier le chloroplaste commun à toutes les cellules végétales, non pour le digérer – comme nous digérons la salade – mais pour s’en servir exactement comme le font les plantes : synthétiser des sels minéraux par l’action sur elle de la lumière du soleil ! A volonté, notre animal se transforme en une plante !… Le phénomène n’est pas isolé ; les lichens sont un assemblage de champignons et d’algues, autant que les coraux sont des animaux ayant intégrés des cellules végétales à leur peau. Nous avons affaire ici à des symbioses, lorsque deux organismes distincts, animal et végétal, partagent une même survie ; mais plus encore que la symbiose de deux organismes différents, notre limace a quant à elle bénéficié d’une endosymbiose : en incorporant non un organisme vivant en elle, mais uniquement le plaste des cellules végétales, un organite, composante « matérielle » de la cellule végétale, relative à la photosynthèse ; ce qui lui assure une autonomie redoutable en période de disette... A défaut de sa nourriture habituelle, celle-ci peut se nourrir par elle-même et en elle-même – grâce à la lumière du soleil ! Ce mécanisme symbiotique échappe, qui puis est, à la définition lente et progressive de l’évolution faite par Darwin ; Alexandre Meinesz parle lui de « révolution », de « schisme », de « nouvelle genèse » (p. 135) opérée par le vivant – il y eut en effet de nombreuses révolutions au cours des milliards d’années de vie terrestre et non des moindres, comme la célèbre reproduction sexuée…
Les révolutions successives de l’endosymbiose cellulaire
Pour mieux comprendre ces mécanismes, il faut entrer plus précisément dans les détails de ce qui composent les bactéries et les cellules végétales et animales, car ce qui sépare les bactéries des cellules est fondamental. Les bactéries sont très rudimentaires, elles ne possèdent pas d’organites mais un seul brin d’ADN circulaire porteur de quelques gènes, en liberté au centre de la cellule. Les bactéries sont donc des procaryotes, c’est-à-dire des cellules dépourvues de noyau, à la différence des eucaryotes, pourvues d’un noyau, que contiennent les cellules du monde végétal et animal (tout notre corps est composé de cellules eucaryotes), et dont le noyau contient les chromosomes, porteurs d’ADN et donc, de l’information génétique. Le noyau est le centre de commande et de duplication des cellules. C’est toute la faune et la flore, à l’exception des bactéries unicellulaires, qui se trouvent être composées de cellules eucaryotes. D’une certaine manière, le noyau des eucaryotes, en détenant en lui-même tout le bagage génétique de la cellule, s’apparente à un microprocesseur avec mémoire, carte-mère, et système d’exploitation (opensource, cela va de soi…). Ces cellules peuvent contenir également quelques options, nommées organites, comme des « batteries solaires » ou des « respirateurs », sous la forme des plastes chlorophylliennes (des plantes) ou les mitochondries, véritables poumons cellulaires qui permettent la respiration en milieu oxygéné. Tout le défi évolutif qui se cache sous ces dénominations précises, revient à saisir comment la vie est passée des modestes « calculettes » qu’ont été les bactéries primitives unicellulaires procaryotes (à l’ADN sans noyau), aux « ordinateurs multifonctions » des cellules végétales et animales eucaryotes. L’histoire de cette évolution naturelle est extraordinaire et surprenante, bien loin des schémas préétablis sur l’évolution du vivant, et c’est bien entendu notre limace anti-caulerpes, qui illustrera le mieux le processus. Pour le dire vite, il faut imaginer que des bains de bactéries, parmi lesquelles, nombre de déchets organiques fragmentés, et des rencontres plus ou moins fréquentes des unes aux autres, disposent celles-ci à nombre d’interactions mutuelles. D’un environnement aussi homogène et disparate que les eaux peu profondes, il est possible d’envisager nombre de scénarios pour expliquer l’apparition de nouvelles formes de vie, à partir d’organismes modestes, comme par exemple, l’apparition de bactéries-champignons (carnivores) par nécrophagies de bactéries végétales dont certaines s’étant pris au goût des déchets organiques de leurs consœurs, déposés sur le fond de la lagune. Car on estime que seules des bactéries végétales existaient à l’aube de la vie ; des bactéries vertes, chlorophylliennes et autotrophes. Seulement, nous savons aujourd’hui que les cellules que nous connaissons, qui constituent la faune et la flore qui est la nôtre, ne sont plus des bactéries primitives, mais des cellules ayant comme intégrés deux organismes distincts. Pour l’expliquer, il faut nécessairement recourir à des mélanges d’individus au sein de groupes déjà constitués. De bactéries végétales, il fallut que naissent des bactéries carnivores, et de ces bactéries carnivores, il fallut qu’apparaisse des cellules carnivores végétariennes… On présume donc que le mécanisme de l’endosymbiose primitif conduisant des premières bactéries végétales aux bactéries animales carnivores se produisit par ingestion fortuite de bactéries mortes par des bactéries végétales ! Certaines ont dû trouver appétissant les restes organiques de cellules mortes, déposés dans le fond vaseux des lagunes et intégrer cette propriété cannibale à leur propre régime alimentaire, passant ainsi de bactéries végétales à des bactéries carnivores. Les premières cellules animales ont pu naître ainsi et, dévorant d’autres cellules par phagocytose, il est possible d’en inférer également l’incapacité à digérer certaines d’entre elles, bien trop robustes, ce qui les obligea à intégrer leurs proies au sein d’elles-mêmes. La cellule carnivore, dans l’incapacité de digérer son hôte, fut dans la nécessité de vivre avec… Dans le cas où la cellule capturée serait chlorophyllienne, celle-ci rejetterait nécessairement de l’oxygène dans la cellule carnivore sous les effets de la lumière, et la cellule carnivore, pour peu qu’elle daigne s’en nourrir, se retrouverait avec en son sein une production de carburant intégré !... Voici comment un événement fortuit débouche, par endosymbiose, sur une révolution cellulaire… Avec le temps, la cellule hôte verrait une partie de son ADN migrer dans celle qui l’accueil, pour en opérer une fusion génétique, débouchant sur un organisme cellulaire à la fois carnivore et doté de la photosynthèse – la cellule végétale moderne étant née ! Il se peut également que des bactéries produisant des déchets profitables à d’autres, se soient rapprochées par hasard les unes des autres, comme émetteurs et recycleurs de mêmes déchets, pour finir tant et si bien par s’englober, en une parfaite connivence de moyens de subsistances – par coopérations cellulaires : « Dans cette hypothèse, c’est une association pour la mise en commun des ressources énergétiques et des déchets qui serait à l’origine de l’endosymbiose. » (p. 145) Il va de soi que je raccourcis au possible les longues et détaillées informations rapportées par Alexandre Meinesz, qui, à elles seules – et par leurs humoristiques dessins – suffisent à nécessiter absolument la lecture de son livre. Il résume en quelques lignes ces opérations bactériennes à l’origine présumée des premières révolutions cellulaires complexes : « Dans notre histoire, le résultat est simple et identique quelle que soit l’hypothèse : certaines proies vivantes se sont définitivement acclimatées à l’intérieur de la bactérie carnivore. Enfermées sans pouvoir s’échapper, elles se dupliquent à l’intérieur. Les deux cellules (la cellule hôte et la cellule proie) se divisent systématiquement et indéfiniment ensemble, de telle sorte que la descendance des cellules hôtes contient toujours des cellules proies « apprivoisées ». C’est ainsi que la grosse bactérie (l’hôte), d’un type original, vivant habituellement dans un milieu sans oxygène, a pu s’associer à une petite bactérie douée de fonctions lui permettant de se déplacer en milieu oxygéné. Comme si la bactérie-champignon hôte, n’évoluant que dans des eaux putrides sans oxygène, s’était greffée un poumon pour vivre à proximité de la surface, près de la lumière où l’oxygène commençait à peine à s’accumuler par endroits grâce au fonctionnement des bactéries végétales. Une fois englobée et définitivement « domestiquée », la petite bactérie ingérée a perdu sa carapace. Elle est devenue un organite de la cellule : c’est la mitochondrie. L’hôte s’est ainsi transformé en un prototype de cellule animale pouvant enfin brouter les pâturages de bactéries végétales évoluant en surface, dans des eaux encore très peu oxygénées. (…) Quel que soit le scénario de l’endosymbiose, il faut bien comprendre que nos propres cellules sont des ex-bactéries carnivores. A l’intérieur des cellules, on trouve encore les vestiges de leurs repas ou association : des ex-bactéries « domestiquées » qui s’y dupliquent toujours et qui forment des organites appelés désormais mitochondries » (p. 144-146) Ces révolutions cellulaires ont dû se produire il y a 2,8 milliard d’années, c’est-à-dire qu’entre 3,85 et 2,8 milliard d’années, le seul jeu des bactéries s’était donné cours, sans événements majeurs. Les bactéries nécrophages, isolées en milieux anaérobies, par le biais des mitochondries, ont donc pu gagner les milieux oxygénés et lumineux des bactéries végétales, permettant aux bactéries carnivores de festoyer avec leurs anciennes copines vertes. Seulement, ces carnivores n’ont su digérer que la paroi rigide des bactéries végétales, et ces dernières se sont intégrées aux carnivores, sous la forme de plaste chlorophyllien, assurant à la bactérie carnivore, une énergie solaire la dispensant de chasser pour se nourrir… Grâce à son hôte, elle fut devenue indépendante et autonome – autosuffisante. Il n’en reste pas moins que tous les végétaux sont issus d’animaux végétariens… « Comme les mitochondries, les plastes sont des organites intracellulaires qui contiennent de l’ADN de type bactérien. Ils se dupliquent à l’identique, de telle sorte que la descendance des cellules hôtes en hérite toujours. Ces plastes ont la taille des bactéries végétales actuelles, et, si on les supprime expérimentalement, la cellule n’arrive pas à les synthétiser.» (p. 148) C’est en ceci que l’exemple toujours actuel de la limace Elyisa est frappant ; car en prélevant le plaste de la caulerpe pour l’intégrer à son fonctionnement propre, celle-ci ne fait rien moins que répéter le mécanisme des cellules carnivores de ces lointaines époques. Carnivores, c’est-à-dire que certaines bactéries ingéraient des bactéries animales, et d’autres, des bactéries végétales ; mais ces aléas de la prédation n’allaient pas se limiter aux procaryotes ! Les eucaryotes, eux-mêmes, les cellules avec noyau(x), allaient connaître le même type de cannibalismes entre cellules… Il se produisit le même événement : des cellules végétales eucaryotes ont subsisté au sein de cellules animales idoines, débouchant sur une seconde endosymbiose… Il en ressort que certaines cellules se retrouvent avec deux noyaux, celui, actif, du dominant, et le second, inactif, du dominé… Toutes ces associations plus ou moins chimériques de bactéries et de cellules ne permettront pas moins l’émergence de deux atouts considérables : la respiration cellulaire et la photosynthèse, fruits du hasard et de la nécessité, ainsi que de la sélection naturelle – ou lorsque le chaos apparent des systèmes organise par événements fortuits son ordre propre et ses « avancées » globales…
La révolution sexuée
Il existe deux modes distincts de division cellulaire, le premier suppose la duplication exacte en deux de la cellule et de son matériel génétique, chromosomes compris. Cette reproduction dite « végétative » est commune aux bactéries comme aux cellules, et permet notamment à celles qui nous composent de perdurer toute une vie par duplications à l’identique. Il paraîtrait même qu’après dix ans de vie, l’intégralité des cellules qui nous constituaient par le passé, ont été entièrement reconstituées, à l’exception de celles du cortex cérébral – ce qui ne manque pas de produire une étrange impression ! Notre être du passé ayant déjà entièrement péri, et pour certains, plus d’une fois !... L’autre mode de reproduction est déjà quasiment celui de la reproduction sexuée : une division par deux du nombre de chromosomes, dans les testicules et les ovaires ; sur 46 chromosomes, constitués de 22 paires de chromosomes jumeaux et d’une paire de chromosomes sexuels, 23 chromosomes différents sont extraits par division au sein de la méiose, par le biais des spermatozoïdes et des ovules. Ce processus de reproduction est commun à toutes les plantes et à tous les animaux. La rencontre entre le spermatozoïde et l’ovule met en commun leurs lots réduits de chromosomes pour reconstituer dans une cellule unique un double jeu de chromosomes similaires. C’est la fécondation, qui consacre la reproduction sexuée. Que ce type de reproduction complexe soit apparu par hasard est évident, puisqu’il n’existe aucune raison probante pour qu’il ait attendu si longtemps avant de se constituer ; tout autant, qu’il se soit étendu à toute la flore et la faune, est moins hasardeux que nécessaire… La reproduction présente un atout important : contrairement à la copie à l’identique du matériel génétique, par unique division, la reproduction sexuée mélange l’information génétique, et accroît l’efficacité de la sélection naturelle par davantage de vigueur et moins de faiblesses génétiques par le doublement des gènes. Les mécanismes aveugles à l’œuvre dans la nature ne retiennent véritablement que ce qui leur est très directement profitable et, ce, au prix de révolutions successives, au sein de la grande alchimie du vivant. Le « dessein intelligent » que nous évoquent les croyants à ce sujet, apparait bien plus pragmatique et contingent, utilitariste, au sens biologique et même physique du terme, que prédéfini par la moindre volonté supérieure. L’eau choisit toujours le chemin le plus court, c’est-à-dire efficace, pour rejoindre la mer – elle n’en est pas pour autant habitée par un dessein caché – sinon par celui, invisible, de la gravitation… de même qu’elle choisit moins son chemin avec intelligence que par opportunisme… La vie serait-elle essentiellement opportuniste ? Biologiquement parlant, cela semble pour le moins évident ; mais elle se montre aussi sélective et co-évolutive.
Le mystère des premiers organismes originels
Une fois l’évolution cellulaire parcourue, détaillée en son fonctionnement propre, nous pouvons revenir brièvement en arrière pour poser la question la plus ardue et la moins évidente : comment la vie a-t-elle pu commencer sur Terre ? Compte tenu de ce que nous savons du climat des origines (3.85 milliards d’années), les premières bactéries durent s’arranger d’un environnement sans oxygène. A ce jeu-là, les premières candidates connues, les archées chimiosynthétiques, ainsi que les bactéries photosynthétiques, apparaissent comme des sujets en or – et ce d’autant plus qu’elles existent toujours aujourd’hui. Les premières autour des sources profondes hydrothermales sulfureuses, dans les grands fonds bouillants océaniques, les autres, à la manière des algues vertes ou brunes, à la surface de l’eau, au contact du soleil, pour y synthétiser des sels minéraux par le biais de la photosynthèse. Mais tout cela ne nous éclaire pas davantage sur leur apparition, leur première apparition. Qu’y avait-il avant les plus rudimentaires bactéries ? Comment sont-elles apparues ? Comment se sont-elles formées ? Comment la matière inerte a-t-elle bien pu accoucher du vivant ? A première vue, on serait en effet tenté de reconnaître que la biologie est à la physique ce que la Nature Naturée est à la Nature Naturante chez Spinoza… à savoir que la physique précède la biologie et que cette dernière n’est qu’une variété de la première générée par ses propres lois. Ainsi déduit-on de la chute des météorites et des comètes de l’hadéen, le dépôt en masse d’acides aminés, briques fondamentales du vivant. Mais, autant les organismes les plus rudimentaires connus ne sont pas nécessairement ceux qui leur ont préexisté, autant les briques du vivant n’ont pas pu se constituer vivantes d’un coup de baguette magique. Il existe sur ce plan deux méthodes différentes pour les chercheurs afin de remonter à la source matérielle du vivant : disséquer les organismes les plus rudimentaires pour tâcher de les reconstituer pièces par pièces, ce qui revient à reconstituer le puzzle originel en partant à l’envers. L’autre méthode consiste à partir des molécules les plus simples, à construire des éléments fonctionnels d’une cellule intégrant des processus chimiques capables de mémoriser et de reproduire toutes les étapes du montage, ce qui représente la création artificielle du vivant. A ce titre, il existe dans la nature des « organismes » plus rudimentaires encore que les plus petites bactéries : les nanobactéries et les virus. A ce point minuscules qu’il n’est pas possible actuellement de leur reconnaître une vie propre. Les nanobactéries sont cent fois plus petites que les bactéries habituelles et personne n’est capable de dire si elles sont vivantes ou non, bien qu’on en trouve partout – jusque dans le sang. Quant aux virus, ils n’ont aucune existence autonome et n’ont qu’un seul but : coloniser un hôte pour utiliser son système de duplication afin de se multiplier. Ils ressemblent à des organismes incomplets, erratiques ; et ne vivent que par procuration… On ne peut même pas les dires parasites, car les parasites ont une existence autonome ; ils n’ont guère besoin d’un hôte pour se reproduire, et d’autre part, tous les parasites connus le sont devenus par adaptation et opportunisme – ça n’est pas le cas des virus qui n’ont jamais eu d’existence autonome puisque leur constitution même ne le leur permet pas. Ils n’ont du vivant que les molécules d’ADN et ARN au sein de leur capside. Certains virus géants (Mimivirus) ont même l’inconvénient d’être eux-mêmes contaminés par des virus et d’en être neutralisés ! Ils leur arrivent donc de se saborder entre eux… D’autres encore sont des patchworks de gènes prélevés au hasard dans leurs environnements immédiats. Le débat persiste quant à leur vraie nature… mais ils ne peuvent être à l’origine de la vie sur Terre ; pas plus LUCA, l’acronyme de Last Universal Common Ancestor, représentant l’ancêtre unique et miraculeux de la vie sur Terre – la première cellule, la bactérie inaugurale, l’Adam ou l’Eve microscopique… Transposition de l’unité divine à l’échelle nanométrique. Il paraît plus évident que les foyers de vie ont été multiples et que si aucune variété existante aujourd’hui n’est détectée, en dehors des archées et des bactéries végétales, c’est que les premiers incubateurs ont été détruits par des cataclysmes naturels ou qu’ils ont été supplantés et anéantis par la sélection naturelle. Nous verrons plus loin qu’Alexandre Meinesz a une autre idée sur la question ; bien plus radicale et excentrique.
Les prouesses des expériences de biologie artificielle
Depuis 1924, nombre d’expériences en laboratoire ont tenté de reproduire les éléments et les événements de la Terre primitive, en reproduisant artificiellement le milieu initial et en lui occasionnant des décharges électriques semblables aux opérations de la foudre. Symptomatique du genre, l’expérience de Stanley L. Miller, en 1953, à l’âge de 23 ans, jeune doctorant tentant – comme naguère pour les alchimistes – de changer le plomb en or, c’est-à-dire de générer la vie à partir de la matière. Miller simula en effet une intense activité électrique (éclairs en arcs) au sein d’un mélange gazeux comprenant méthane, ammoniac, hydrogène, communicant avec un vase contenant de l’eau en ébullition. L’eau devait s’évaporer dans celui contenant les gaz primitifs. Au fil des semaines, un film brunâtre s’était déposé sur les parois de ses fioles : des acides aminés ! Et pas seulement, car, en variant quelque peu les éléments des fioles, non seulement tous les acides aminés connus furent synthétisés, mais aussi des sucres, des lipides, et des nucléotides qui composent l’ADN de la vie ! Preuve était toutefois faite que des briques importantes du vivant pouvaient apparaître par simples réactions chimiques. Toutefois, les acides aminés ont deux chiralités déterminantes : une à droite, une à gauche ; et aussi étrange que cela puisse paraître, les expériences de Miller produisent autant d’acides aminés gauches que droites – alors que le vivant dans son ensemble, sur Terre, n’est composé que d’acides aminés orientés à gauche. La seule explication possible à cette étrangeté reposerait sur l’action des ultraviolets qui déterminent les acides aminés à tous emprunter cette chiralité gauchère. Ce qui renvoie l’origine des acides aminés de la vie animée, soit à l’espace, soit à la Terre primitive, dépourvue comme on le sait à l’époque du moindre ozone protecteur. Confectionner une vie artificielle, à partir des éléments matériels de la vie, se heurte en premier lieu à l’ADN et à ses nucléotides, hautement complexes ; sans ces deux serpentins entrelacés en hélice, aucun système physique et chimique, à mémoire autoreproductible, ne saurait prétendre à être qualifié de vivant ; car les chromosomes de l’ADN contiennent rien moins que les gènes codants de tout organisme, son programme d’application, et la clé de sa reproduction. Jusqu’à aujourd’hui, toutes les expériences ont nécessité l’intervention d’un ADN prélevé sur du vivant pour parvenir à un résultat ; aucun mécanisme artificiel n’est parvenu à « prendre vie » sur simple composition biochimique.
Une piste bien plus exotique de l’apparition du vivant
Il est connu que des bactéries puissent hiberner en s’enkystant, de même que certaines supportent des températures de plus de 100°, quand d’autres se plaisent aux pôles à – 60 ° ; que d’autres encore ont la capacité étonnante d’être mise en sommeil durant des millions d’années. C’est ainsi qu’en 1995, des bactéries abdominales d’une abeille fossilisée dans l’ambre depuis 25 ou 40 millions d’années, ont pu « ressusciter » en laboratoire. En 2000, d’autres chercheurs ont obtenu un résultat semblable avec des cristaux de sel situés à 600 mètres sous le sol. Formés il y a 250 millions d’années, ils contiennent de petites inclusions liquides dans lesquelles des bactéries ont été piégées. Tout de suite après avoir été extraites, celles-ci ont commencé à se développer et à se diviser ! D’autres micro-organismes ont la capacité de se développer dans le vide, de survivre à la déshydratation, comme aux fortes radiations radioactives, voir à reconstituer leur propre génome brisé en une centaine de fragments… Récemment, une archée vivant dans un milieu hypersalé, est parvenue à s’adapter au sein d’un milieu sans phosphore (indispensable au développement cellulaire), en troquant le phosphore qui constitue l’ADN du vivant, par de l’arsenic ! Une preuve que la composition chimique de la vie n’est pas susceptible d’utiliser, pour se constituer, les matériaux que nous lui connaissons habituellement. Au sein de la station spatiale internationale, certaines bactéries photosynthétiques ont été soumises à une exposition du vide cosmique et aux rayons ultraviolets durant 553 jours… et sont revenues sur Terre vivantes, pour leur majorité. Expérience similaire avec non plus des bactéries mais un métazoaire beaucoup plus gros (tardigrade), connu pour son extrême résistance, ayant lui aussi survécu à son séjour dans l’espace… Plus surprenant : des lichens placés à l’intérieur d’une roche, ont survécu à des températures de 100 ° et à une explosion occasionnant une pression de 5 à 50 gigapascals ; de quoi en déduire une possibilité pour la vie microscopique de pouvoir, sans problèmes, voyager de météorites en planètes, y compris pour des voyages de plusieurs centaines de millions d’années ! Voilà qui saurait alimenter encore aujourd’hui la théorie de la panspermie, dont le néologisme fut inventé en 1908 par le prix Nobel de physique Svante Arrhenius (1859-1927). Une hypothèse loin d’être nouvelle puisqu’on en trouve la trace bien avant J.-C., lorsqu’après une chute météoritique à Aïgos Potamos, le philosophe Anaxagore de Clazomènes (497-428) développa l’idée d’un ensemencement animal et végétal de l’air par l’espace – très mal reçue à l’époque… L’idée n’est donc pas nouvelle, mais il faudra attendre le XXème siècle pour en généraliser la portée – jusqu’au délire bien connu d’une civilisation extraterrestre venant ensemencer la Terre par le biais d’un vaisseau spatial. Nul besoin de recourir à de telles invraisemblances, les météorites et autres comètes, font déjà bien l’affaire en matière de vecteurs interstellaires. Selon l’auteur, le temps de constitutions des premières vies, après le bombardement météorique intense de la fin de l’hadéen n’aurait pu s’effecteur qu’en l’espace de 300 millions d’années. Il a pourtant fallu moins de 100 millions d’années au système solaire pour s’accréter ! Et nul n’est en capacité de savoir exactement la durée de formations d’organismes élémentaires, faute d’en avoir jamais trouvés de tels… Les acides aminés et autres nucléotides ne sont-ils pas apparus en quelques jours seulement dans des expériences de labos ? Selon l’auteur, si la vie était apparue sur Terre, elle aurait pu tout aussi bien continuer à apparaître tout du long des milliards d’années qui nous séparent de la date de son apparition présumée (3,9 milliards d’années). Si les bombardements météoritiques, par leurs énergies et leurs cataclysmes, sont susceptibles de produire les synthèses primordiales nécessaires à son apparition, on peut imaginer qu’il soit possible à la vie d’apparaître plusieurs fois, en foyers distincts – exactement comme lors de l’apparition des premières faunes complexes, il y a 570 millions d’années, lorsque la faune d’Ediacara a été engloutie à jamais et que celle de Burgess a permis à un vertébré de constituer notre descendance principale … Qui sait si l’opération ne s’est pas en effet produite plusieurs fois depuis les origines de la Terre, à chaque grand choc météoritique ?... Dans le cas d’une apparition d’organismes primitifs, il va de soi que la généralisation de la vie sur Terre a rendu assez rapidement cette apparition impossible ; c’est-à-dire soumise à une sélection naturelle ne lui permettant plus – sans être immédiatement détruite – de reproduire un foyer primordial. Car si on poursuit le raisonnement et la préférence de l’auteur pour une apparition de la vie par l’espace, rien n’empêche à aucun moment la moindre météorite de s’écraser à nouveau, ici ou là, avec une nouvelle variété de germes ou de bactéries extraterrestres. Le phénomène, y compris venant du ciel, peut tout à fait se reproduire à tout instant ; sauf que… la sélection naturelle est déjà engagée sur Terre depuis des milliards d’années et que les nouveaux arrivants n’auraient pas beaucoup de chance de s’imposer mais bien plutôt d’être immédiatement au repas de la moindre bactérie plus évoluée… et, comme le relate Alexandre Meinesz, il en existe plusieurs millions par gouttes d’eau ! Il est assez évident que LUCA ne tient pas en tant qu’organisme unique originel, et que les premiers organismes devaient être déjà de multiples sortes aux origines, comme le reconnaît l’auteur. De fait, si on considère que la sélection naturelle privilégie toujours les plus adaptés aux autres, dans des océans vides, la vie est nécessairement apparue en de multiples foyers distincts ; et lorsque celle-ci s’est déployée massivement, colonisant tous les milieux, la sélection naturelle a engagé le bras de fer planétaire qui, à cet instant-là, n’aurait plus permis à la moindre souche nouvelle de gagner le moindre terrain sur l’évolution déjà établie. Auquel cas, c’est bien lors des 300 millions d’années mentionnés par l’auteur, que les conditions étaient réunies pour voir apparaître de multiple foyers distincts de vie, en compétitions et brassages inéluctables ; mais l’origine extraterrestre de la vie, si elle peut s’étayer notamment par les météorites et la capacité qu’ont les étoiles de faire office de grandes alchimistes capables de créer jusqu’à l’or tant quêté des sorciers du Moyen-Age, ne fait que déplacer le fond du problème qui, à mon sens, repose toujours – dans l’espace ou sur Terre – sur le passage entre la matière inerte qui compose le vivant, au vivant proprement dit. Ce passage-là est une évidence incontestable, car la vie n’est qu’une variété de la physique – dont elle est intégralement constituée – et non d’une substance inconnue ou magique.
L’étude décisive de la composition chimique des météorites
La vie voyagerait donc dans l’espace à l’intérieur de chondrites carbonées. Il est vrai que l’étude des chondrites apporte des éléments sidérants : celles-ci sont bourrées de matières organiques, dont des molécules que les scientifiques pensaient être uniquement l’œuvre du vivant, et qu’on a depuis fait apparaître en laboratoire ; mais l’extrême richesse et variété de la matière organique contenue dans ces météorites laisse rêveur… La météorite de Murchinson, tombée en 1969 en Australie, à Melbourne, et datée de la création du système solaire (c’est-à-dire de la nébuleuse primitive) il y a 4,65 milliards d’années, contient 70 acides aminés identifiés et près de 14'000 composés moléculaires associant atomes (carbone, oxygène, hydrogène, azote, soufre) et se distinguant en plusieurs millions de structures différentes en trois dimensions ; sans parler de sucres qui trouvent généralement leurs places au sein de l’ARN et de l’ADN !... Preuve est faite que la concentration en matière organique issue de la production des étoiles (généralement géantes) est infiniment supérieure en densité au sein des météorites que sur les planètes elles-mêmes. La vie proviendrait-elle d’une autre étoile que la nôtre, plus ancienne et plus grosse ? Celle ayant été à l’origine de la nébuleuse de laquelle sont nées nombre d’étoiles dont notre propre soleil et ses nombreux satellites ? La célèbre météorite d’origine martienne ALH84001 est tout un roman à elle toute seule et Alexandre Meinesz a bien connu Imre Friedmann (1921-2007), professeur de biologie à l’Université d’Etat de Floride à Tallahasse, qui fut un des chercheurs ayant étudié cette météorite unique. Il faut en effet savoir que la désintégration des isotopes de la météorite renvoie celle-ci à une naissance de 4,5 milliard d’années, ce qui fait d’elle une contemporaine à 600 millions d’années près, de la formation des planètes du système solaire ; autrement dit, il s’agit d’un des plus vieux témoins connus de cette lointaine époque. La météorite serait tombée sur Mars entre 3,9 et 4 milliards d’années. A cette époque, Mars était pourvue d’une atmosphère et l’eau y était abondante, au point que de l’eau martienne aurait coulé au sein de la roche en question, y laissant de précieux carbonates – les dépôts vaseux s’étant fossilisés depuis. Les globules de carbonates qu’elle contient sont estimés à 3,9 milliards d’années et ne correspondent pas à une formation terrestre. Nous avons donc bien là une fenêtre ouverte sur une autre planète, à une époque où les conditions de celles-ci étaient favorables à un développement de la vie. Comment cette météorite tombée sur Mars peu de temps après la création du système solaire a-t-elle pu un jour se retrouver sur Terre ? Le séjour d’une pierre dans l’espace laisse des traces, et il est possible de déduire de l’exposition aux rayons cosmiques que la pierre a reçu, que celle-ci a dû reprendre le chemin du ciel martien il y a 16 millions d’années, des suites d’un autre impact de météorite ; ensuite, il suffit d’analyser les isotopes des bulles de gaz enfermées dans la glace située autour de la météorite, pour estimer la date de sa chute sur Terre, à savoir il y a 13'000 ans, sur la glace des Monts Allan, en bordure de l’Antarctique. De quoi être humble quant aux capacités techniques des géochimistes, si on en juge par leurs prouesses déductives ! De quoi faire pâlir Descartes et sa méthode… Lorsqu’il s’agit de remonter des effets aux causes, on fera rarement aussi spectaculaire !... La suite, on la connaît : les photographies au microscope électronique des structures carbonatées nous font voir des formes de vers ou de bactéries très proches de celles qui sont connues sur Terre, si ce n’est 100 à 200 fois plus petites. Lors de la première parution précipitée de la découverte, celle-ci reçut son content d’études contradictoires et pertinentes – au point de rapprocher ces structures, soit d’une contamination terrestre, soit d’un effet purement minéral. En réalité, la première étude avait souffert d’une diffusion hâtive, la Nasa espérant obtenir urgemment des fonds pour ses aventures martiennes – la météorite exceptionnelle ne pouvait pas tomber mieux. Les analyses qui suivirent mirent en évidence la présence de petites billes de fer, semblables aux magnétites dont le vivant se sert pour se diriger. Là encore, un manque de précaution lors de l’analyse, dispersa les billes étonnement sphériques, et en brouilla la réception. Lorsqu’Imre Friedmann dut s’en occuper, il constata de fait que les coupes fines de la météorite avaient dispersé les magnétites, en réalité, un grand nombre de ces magnétites furent découvertes toutes alignées, avec une régularité de collier de perle que seul le vivant est capable d’effectuer. Leur présence au cœur de la roche martienne en si grand nombre, et dans un environnement aussi froid que celui de l’Antarctique, ne permet pas d’imaginer une contamination terrestre aussi conséquente et profonde. Ce sont donc bien des bactéries vivantes qui se trouvent fossilisées dans du carbonate datant de 3,9 milliards d’années – et issues d’une autre planète que la Terre ! Alors même qu’aucune vie terrestre n’a jamais été découverte aussi précocement. Hélas, même armé de photographies sans équivoques, la publication de Friedmann trouva porte close, autant à Science qu’à Nature… La première déconvenue de la révélation, qui vit jusqu’au président Bill Clinton faire une allocution publique, découragea d’avance les prestigieuses revues. Imre Friedmann dut soumettre son travail à l’Académie des sciences de son pays, ainsi que, peu avant, en soumettre le manuscrit à des experts et scientifiques qui trouvèrent tous que la démonstration était sans faille. Celui-ci sera reçu et publié en janvier 2001 dans les annales de l’Académie américaine des sciences ; une académie prestigieuse mais de moindre rayonnement que Science et Nature. Dans son article, Friedmann est catégorique : « Evidence d’origine biologique. » (p. 76) A ce jour, la nature biologique de ces magnétites et la provenance martienne de la roche ne sauraient trouver la moindre opposition ; une preuve isolée ne pouvant hélas pas être considérée tout à fait comme une preuve indubitable… L’avenir seul permettra de définir ce qu’Imre Friedmann ne saura jamais : la reconnaissance internationale ou non de son travail et de l’ampleur exacte de sa découverte. Si l’apparition de la vie s’est faite conjointement sur Mars et la Terre, cela signifiera avec plus d’évidence encore l’origine extraterrestre de la vie, par le biais des grandes forges stellaires et de leurs gaz primordiaux. Il y a effectivement de quoi s’étonner : bien après l’héliocentrisme copernicien, qui fut déjà un grand coup dans l’orgueil géocentré, et par-là même égocentré de l’homme ; il devient de plus en plus probable que la vie sur Terre ne soit pas même issue de notre propre planète… et que les petits hommes verts, comme le raconte avec amusement Alexandre Meinesz, étaient en réalité des bactéries vertes venues d’ailleurs…
Le sens de la vie
Quel sens donner à la vie après tout cela ? Il reste multiple ; chacun étant susceptible d’intégrer à sa vision du monde, les modifications apportées par la science, du moins, pour ce qu’elle sait prouver apodictiquement. Les vérités prouvées ou prouvables étant décroissantes à mesure qu’elles s’éloignent des causalités immanentes, il va de soi que, tout entendement honnête, saurait moins renier le fait établi que l’adapter ou l’intégrer à ses propres présupposés. La science n’élimine pas la croyance, tout au plus la fait elle reculer un peu plus loin dans ses attendus ; ainsi il n’est pas si étonnant, comme je l’ai relevé au début de ce texte, que l’Église, par le biais du pape Jean-Paul II, ait fini par reconnaître en la théorie de l’évolution, une vérité certaine. Il savait pertinemment qu’elle ne se heurtait en aucun moment aux mystères de la foi, quand bien même elle recourrait à des concepts lui étant généralement étrangers, comme le hasard et la contingence, par exemple, qui a priori s’opposent à la prédestination divine. Mais dans le cadre du matérialisme, y compris philosophique, l’étude de la vie sous l’œil des scientifiques apporte davantage de réponses que de questions. Le biologiste Jacques Monod, prix Nobel co-découvreur du mécanisme de codage des protéines, explicitera le but de la vie (au sens biologique) comme étant « celui de se multiplier à l’infini ». Le prix Nobel de médecine François Jacob, évoquera également la reproduction comme étant le « rêve » de toute cellule vivante. Le biologiste anglais Richard Dawkins se référera mêmement, dans les années 70, soit dix ans plus tard, à un automate chimique. Pour Dawkins, « toute vie ne serait que le porteur provisoire de l’information génétique et son outil reproductif. » Je cite Alexandre Meinesz à propos des travaux de Dawkins : « Pour Dawkins, les gènes, porteurs de l’information, sont des mémoires chimiques qui se bouturent sans arrêt, et dont la destinée « égoïste » échappe à la raison humaine et à toute finalité ou destinée mystique programmée. » (p. 193) Certes, ces auteurs ne nient pas qu’il existe des comportements altruistes y compris chez les animaux, mais pour y voir malgré tout un dessein caché relatif, nécessairement, à un intérêt leur étant propre. La lucidité hobbesienne traverse aisément les siècles pour se rendre même contemporaine des théories les plus à la pointe de la physique et de la biologie !... On aura saisi que la vie, biologiquement parlant, est amorale, égoïste et dépourvue de sens ; s’il fallait trouver une réalité à l’absurde, c’est bien dans cet élan vital irraisonné qui ne conduit la vie qu’à désirer se reproduire à l’infini, indépendamment de tout contexte… Absurde, aveugle et vaine – ce qui n’interfère en rien avec sa beauté ! Heureusement que la culture, l’éducation et la morale – issues du néocortex humain -, permettent à l’homme (même artificiellement) d’envisager autre chose dans la vie que de se soumettre passivement et sans buts à ses instincts primaires… La morale ? Elle tient en une phrase discrète en ce livre magnifique, et elle ne provient ni d’un théologien, ni d’un philosophe, ni d’un scientifique, mais d’un grand poète latin : « Cueille le jour sans te soucier du lendemain », carpe diem (formulation heureuse du dés-espoir) ; principe hédoniste et épicurien majeur – et signée Horace…
1. Pagination extraite : Alexandre Meinesz, Comment la vie a commencé, Ed. Belin/Pour la science, nouvelle édition (2011)
2. Georges Bataille, Les larmes d’Eros, Ed. 10/18
3. Le génie humain (en tant que faculté) étant par-delà le bien et le mal ; j’anticipe ici sur les fréquentes et justifiées accusations quant au compagnonnage que sait très bien opérer l’homme entre génie et cruauté ; ils ne s’opposent pas, en effet : la morale pouvant être dissociée de l’intelligence logique et pratique.
4. De l’inerte au vivant. Une enquête scientifique et philosophique, P. Forterre, L. d’Hendecourt, C. Malaterre, M.-C. Maurel, Collection 360, Ed. la ville brûle 2013
5. Premier éon géologique de la Terre s’étendant de sa création à 3,8 milliards d’années.