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Le blog de Pierre Montmory

LOUISE (émotion de voyage)

 Louise, tu m’avais dit : « Tu devrais venir à Montréal. C’est beau ». Et je t’avais posé cette question, soudain : Comment c’est? ».      « C’est beau » - tu as répété. Et chaque fois je reposais ma question, et tu répondais avec ton joli accent : « C’est beau ».

Louise, tu m’avais dit : « Tu devrais venir à Montréal. C’est beau ». Et je t’avais posé cette question, soudain : Comment c’est? ». « C’est beau » - tu as répété. Et chaque fois je reposais ma question, et tu répondais avec ton joli accent : « C’est beau ».

LOUISE

Nouvelle de Pierre Montmory

Louise, tu m’avais dit : « Tu devrais venir à Montréal. C’est beau ». Et je t’avais posé cette question, soudain : Comment c’est? ».

« C’est beau » - tu as répété. Et chaque fois je reposais ma question, et tu répondais avec ton joli accent : « C’est beau ».

J’ai laissé mon chien à un ami et je suis venu. Tu ne pouvais pas m’attendre à l’aéroport puisque tu ignorais tout de ma décision.

Je suis venu voir Montréal parce que je suis triste à Paris, où rien ne bouge depuis, je ne sais plus combien de temps.

Je pense à toi.

Ta petite voix répète à l’infini le vocable dont les syllabes sonnent en ricochets sur ta langue. Des galets lancés comme un boomerang éclatent leur chair de pierre. C’est beau et ça ricoche dans l’eau. Le sceau de ta langue se dénoue.

Nous n’avions pas rendez-vous. J’ai pris le bus à l’aéroport et j’ai posé le pied sur le sol de Montréal. C’était chaud. C’était l’été.

Tu ne m’as pas vu. Tu n’as pas su.

J’ai posé mes bagages à l’hôtel. En fait, j’avais juste un sac à dos, mais, tu sais comment ils sont, dans les hôtels, et j’ai dû laisser mon sac en gage; comme ça, si je ne paie pas, ils garderont mes pauvres affaires.

Maintenant, je suis tout à toi, Montréal. C’est Louise qui m’accompagne. Elle est comme toi, elle est québécoise. Et Louise sait que j’aime marcher. C’est l’unique façon de connaître une ville.

J’étais à Montréal, mais je ne savais pas où j’étais. Je sortais de l’hôtel et, une fois sur le trottoir, je me laissais aller, je m’imprégnais de l’atmosphère de la rue. Ma tête tournait un peu, des vertiges dus peut-être à mon voyage en avion. Je respirais un grand coup l’air chaud d’un après-midi, un dimanche de Juillet.

Je me rappelais que c’était ton anniversaire; je souris au vent. Mon corps pris la direction du mouvement et alors, j’entrais dans la danse de tes pas.

Ô, bergère, comme j’aimerai être le mouton blanc de tes yeux noirs et humer ta chevelure de vents; ô, ma louve, je veux boire le lait doux de tes sources par milliers.

Je foule le plancher de cette île amarrée aux rives d’un fleuve cruel qui veut l’inonder ou l’étouffer dans sa main glacée.

Je suis captif de cette île.

Tel un marin, je veux aller sur toutes les mers mais je ne connais pour tout dire que le plancher de mon bateau. C’est peut-être pour cela que je ne m’attache à aucun port. C’est mon devoir, je dois partir. Et je sais qu’il ne fait pas bon de s’arrêter trop longtemps dans un port.

Je m’assoie à l’une des terrasses ensoleillées, et je laisse aller mon esprit à la dérive de mon ennui délicieux.

J’ai économisé la moitié de mon salaire, rien que pour le billet d’avion; et j’ai encore de quoi, juste une semaine. Alors, tu vois, je presse le pas.

Tes rues sont plus sont grandes, ton ciel est plus haut qu’à Paris. Je me perds. Exprès. Je me laisse aller ou, comme dirait Louise : je me lâche lousse.

Louise m’a parlé de tes ruelles que tu abrites aux détours de tes avenues. Ces ruelles sont mes amies. Je les croise toujours. Et je leur demande des nouvelles de Louise, vous savez. La petite femme au chapeau rond, au teint blanc et aux yeux noirs. Corbeau, noir corbeau.

C’est beau, Louise. Tu souris sous ton chapeau. Je voudrai m’arrêter, prendre ton visage dans mes mains et t’embrasser mais tu ne me laisses pas le temps. Tu files comme une trotteuse dans tes bottines noires que tu portes lacées jusqu’au mollet. Tu marches vite à côté de moi, dans cet espace inconnu de moi, de la Terre.

Il y a une ville. Et puis il y a Louise. C’est ce qui me fait marcher. Je marche comme s’il fallait que j’aille au bout de cette ville. Mais, bien-sûr, une mouette, un corbeau, me feront changer de route. Et même si mon cap est sur Louise, je dois faire des bordées avant de l’accoster.

Alors j’ai marché tout ce qu’il me restait de jour, j’ai laissé la nuit tomber pour la ramasser, dans un bar du boulevard Saint Laurent. Je ne me rappelle plus le nom de l’établissement, seulement que c’est à gauche en montant lorsque tu viens de la rue Prince Arthur. C’est un bar où on passe des disques de reggae, de musiques africaines, c’est plein de blacks, de rastas.

J’ai demandé tout de suite un whisky sec et puis j’ai remarqué, au sourire de la serveuse, qu’ici, dans les bars, on est toujours obligé de payer de suite sa consommation, quand on ne l’a pas encore bue. J’ai l’impression qu’il faut aller vite, le jour comme la nuit, au rythme de la trotteuse.

Louise marche dans le vent de la nuit, elle m’entraine là-bas, je tombe dans son sillon, dans sa ruelle.

- Tu veux qu’on aille là-bas ?

- C’est comme tu veux.

J’essaie de me concentrer pour lui dire ce que je ne suis pas arrivé à lui dire, parce qu’une semaine, ce n’est pas assez pour tout dire.

Je veux exprimer ma pensée mais un tourbillon de panique s’empare de moi, ma tête se remplit d’étoiles, je tombe évanoui, dans les bras de la nuit.

C’est la rumeur de Montréal qui me rappelle à l’ordre des vivants. Je me lève comme je peux. J’ai du mal, au début, à arquer sur mes guibolles.

J’ai parlé de toi aux ombres qui gigotaient dans l’éclat des lumières de la boite enfumée. J’ai dû boire deux whiskies secs, l’un derrière l’autre, j’ai pris une bière après.

J’étais fait, comme un rat pris au piège de tes filets. Je me suis endormi plein des images de toi; toi que je finis par inventer en ajoutant des souvenirs à mon souvenir.

Je regrette de n’avoir pas pu te suivre quand tu allais au bout de ton île. J’ai fabriqué, au gré de ma fantaisie, des mensonges qui m’ont apaisé pendant que les petits lutins dansaient sur le plancher du bar.

Je t’ai rencontrée à la sortie du bal du Moulin Rouge. Nous sommes sortis de la foule et je t’ai raccompagnée par les boulevards. Tu allais à Opéra, alors j’y suis allé avec toi, jusque devant ton hôtel. Je ne me souviens pas des paroles que nous avons échangées. Avons-nous même parlé ?

Tes yeux noirs profonds m’engloutissaient, j’avais très peur au moment de te suivre. Je t’ai dit « À un de ces jours », et je t’ai fait deux bises sur tes joues potelées. Tu ressemblais à ce moment-là à une petite souris – c’est ainsi qu’on appelle une jeune femme à Paris. Ton minois blanc reflétait la joie des rues enluminées. Ton sourire radieux peint en rouge sur le parchemin de mon cœur.

Je suis juste ici le temps de goûter à Montréal. La ville que j’aime parce que Louise l’aime aussi, que Louise habite Montréal.

Je garde mes mains dans les poches, je fais le tour du lac. Je suis content de voir des enfants. As-tu des enfants, Louise ?

Tu vois, nous n’avons pas parlé beaucoup. Mais je sais que tu te sentais bien à mes côtés.

Cette pensée me réconforte. C’est pour être plus proche de toi que j’ai fait le grand saut au-dessus de l’océan.

Plus proche de toi, Louise. D’ailleurs, es-tu, ces jours-ci, à Montréal ? Ça se trouve, tu as pris tes vacances au même moment que moi, et que, comme beaucoup de québécois l’été, tu as laissé Montréal aux touristes, et aux plus pauvres qui pourront se consoler du voyage en admirant son site; sans doute que tu te requinques dans un coin de belle nature.

Je n’ai pas écrit pour te prévenir, je n’avais pas ton adresse. Tu ne me l’avais pas laissée. Nous n’avons pas fait ce que nous aurions fait avec une connaissance quelconque. On ne s’est pas laissé nos cartes. On s’est pris le cœur.

Je crois que tu m’as soufflé que tu habites rue de l’Église. J’aurai confondu avec le glissement de ta robe. Ton chuchotement chatouillait mon oreille au guet de ton corps.

C’est vrai, c’est beau Montréal. Je garde Louise comme idéal et de toi Montréal je fais ma courtisane. Tu me dois un régal. Offre-moi tes plus beaux atours pour que je me pare et monte à l’assaut de tes tours.

J’y suis venu faire l’amour.

Toi, Louise, tu exerces un des plus beaux métiers. Tu enseignes, tu apprends à apprendre aux petits enfants. Et aux grands aussi, m’as-tu dit. Mais tu préfères les petits. Pour les grands, tu a été obligée de faire des heures supplémentaires, tu avais besoin d’argent, et tu as dit que cela te fatiguait trop et que tu étais alors moins disponible pour t’occuper des tiens.

Je ne sais pas si tu as déjà eu des enfants mais je sais que tu as une famille. Tu ressembles au roman que j’ai lu grâce à toi. Maria Chapdelaine, c’est tout à fait toi. Louise, tu es l’âme de ce Québec près de qui j’aimerai grandir. Mourir près de toi et de la belle Montréal, toutes deux mes idéales, et m’allonger le long de la coque de l’île flottante, rivé à ce bateau enchanté par la voix de la sirène Louise. Elle m’appelle sur son récif. Son corps glisse de mes mains quand elle bondit dans la vague, je chavire dans le pli des flots, la bouche pleine d’écume : je rage!

La fille-poisson riait en prenant son bain. C’était cinq heures le matin. J’étais à cran. Louise me rendait dingue !

Je sais que tu prendras cela pour un compliment. Je voudrai toucher ton âme, t’atteindre par la force de ma pensée. Le bruit des voitures et des sirènes hurlantes me terrassent dans le béton. Je suis cloué quand j’aperçois pour la première fois, énormes, qui ne passeraient pas dans les petites rues de mon Paris, les voitures de pompiers, les ambulances et les bagnoles de flics qui foncent en accords tonitruants dans l’harmonie ronronnante de la ville qui se déglingue. Tout se casse la gueule dans mes oreilles mais je ris en même temps de joie comme un gosse qui découvre ses premiers jouets. Ils sont dix fois plus gros et bruyants qu’à Paris. Merci Louise pour ces cadeaux. Tu n’as pas oublié que je suis orphelin de tout même du père Noël.

Je pense à mon patron qui fait des cadeaux à son personnel, une fois par an, il nous refile quelques miettes de sa table et on lui dit merci poliment, il nous gratifie de son sourire adéquat.

Montréal me sourit et je réponds à ses appels. Je hèle un taxi. Zut, il est pris. Je tourne la tête vers le trottoir qui remonte l’avenue et, descendant vers moi, une blonde inconnue s’arrête à deux pas. Elle me tend son joli minois et sourit. Je souris.

- Comment qu’c’est ton nom, à toué ?

- Jean.

- Oh, c’est presque comme Saint Jean Baptiste.

- Qui est-ce ?

- C’est le saint du Québec.

- Je n’aime pas les saints.

- Oh, celui-là, tu sais, il est cute. Tu devrais lire son histoire, c’est un jeune enfant. Comme le Québec.

Je regarde l’avenue encombrée d’hommes et de marchandises. Ma blonde a les yeux arc-en-ciel. Le printemps loge dedans. J’aimerai bien être son locataire.

-Si on allait ailleurs ?

- Où çà ?

- Ah, on peut pas y aller tantôt, mais si tu veux, quand on s’ra rendus chez nous – c’est juste à un coup de pied d’ici; je t’expliquerai – ça s’ra pas long.

- On va chez toi ?

- C’est juste pour une nuit et demain, à matin, j’ai un lift pour le lac Saint Jean.

- Le lac Saint Jean ?

- On va dormir à la belle étoile et puis toute !

- Toute ?

- Ben oui, toute, on y va ensemble. Tu viens-tu ?

J’ai suivi cette fille en vacances et c’est comme ça que je me suis évadé de Montréal où Louise me retenait prisonnier. Ah, j’aime ces murs et sa geôlière !

Et je me suis perdu pour de vrai. Elle ma embarquée dans une très longue expédition. On coupait les quartiers en deux en slalomant par les ruelles. À l’ombre des arbres magnifiques où nichent les oiseaux enchanteurs. Des poteaux de bois griffent le ciel avec des fourches de fer et tissent des entrelacs entre les maisons avec du fil électrique. Des palissades cachent de secrètes propriétés du regard curieux des promeneurs. On ne se mêle pas des affaires des autres. Ma blonde et moi, nous gambadons jusqu’à notre cabane. Des écureuils me grimpent dans les pantalons.

Au troisième et dernier étage d’une bicoque biscornue, nous arrivons chez ma blonde. Suis tout essoufflé d’avoir suivi son pas rapide et soleilleux. En haut de l’escalier en colimaçon, j’ai compris tout de suite que j’allais m’amuser, que c’était une fête.

Dans le brouhaha des gens, au milieu de la cohue des bavardages, je surveillais ma conquête.

Elle me frôla le bras, je lui pris. Elle tourna la tête et sourit en cherchant à m’embrasser mais je l’en empêchais juste le temps de lui demander son petit nom. Elle me dit, bien-sûr, qu’elle s’appelait Louise.

Me revoici une dernière fois à Louise de Montréal.

Le temps est gris comme souvent à Paris. Sauf qu’ici, le mauvais temps ne dure jamais longtemps. Sainte Météo est clémente.

J’ai repris l’avion. Ça m’a fait mal de quitter cette île. Tel Ulysse, je n’avais pas le temps de penser à mon chagrin. Je partais. Je quittais l’île enchanteresse pour une autre. Mais je gardais en moi une force inextinguible que je venais de puiser à la source du voyage.

Ne m’étais-je pas initié comme un Robinson qui aurait réussi à allumer un feu sur son ^le déserte ?

Je tenais ma découverte pour un don du grand Mystère.

Je t’ai appelée, Louise, du haut de mes ailes. J’ai bordé ton île de dentelle et d’une couronne de perles blanches comme au cou gracieux d’une reine.

Montréal est à côté de Paris sur la carte de l’Univers. Mon pays c’est la Terre. J’habite une île qui se prend pour un bateau.

Louise est ma conquête. Je veux revoir Louise. J’entends ses mots : « C’est beau! ». Je l’aime à fleur de peau, ô rose du Québec ! Tes épines font mourir quand tes pétales embaument!

Je voudrai mourir pour elle.

Avant te partir, j’ai visité tes quartiers. Comme tu n’étais pas là pour me servir de guide, je me suis laissé aller une fois de plus en compagnie de mon esprit vagabond. J’ai fait le tour de l’île en guettant les bateaux.

J’ai hélé des mouettes, j’ai crié ton nom et le bateau « Louise » a accosté dans le port de Montréal. Tu n’étais pas parmi les passagers.

Alors j’ai tourné le dos au port et j’ai remonté le long du boulevard Saint Laurent, ivre d’air de mers comme un marin qui aurait gagné la quille. En croisant Sainte Catherine, je lui ai offert mon pompon.

J’ai repris La Main, le jeu finissait à mon hôtel. Le fleuve faisait tanguer l’île, il y avait du remous sous les planches. Je suis tombé dans mon lit qui m’attendait les bras ouverts.

Louise m’a fait tourner dans tous les sens de son île.

Elle n’avait eu qu’à laisser glisser sa robe. Son corps était sculpté dans du granit blanc. Sa diaphane peau se teintait de sang quand je la touchais. Sur ses lèvres fraîches brûlait un baiser rouge. L’ardeur dans son regard et la candeur de sa croupe, animale, humaine chante Louise.

Tu es partout là où je t’emmène, dans ce bateau, dans l’avion. Je parle de toi.

Je convaincrai le monde entier de ta présence sur cette Terre. Ne me lâche pas. J’ai presqu’un pied dans la réalité, tous ceux que je rencontre finissent par te connaître. C’est bien la preuve que tu existes et chacun pourra donner ton portrait détaillé. Bien-sûr les différentes versions n’égaleront pas ta beauté ni ta perfection. Seulement voilà, je suis presque vengé de ne t’avoir pas revue. Je doute presque de t’avoir rencontrée.

Je crée ton effigie partout où le vent me pousse. Tu es bannière au vent, les oripeaux du Temps, père des gueux. Que tes ports, ô, mon île, me protègent des mauvais coups, je me bats sous tes armes.

Le drapeau de Louise signale le vent.

L’avion est maintenant au-dessus des nuages, au-dessus de l’île Montréal.

Je me suis séparé de Louise. Elle a gardé la terre. J’ai pris l’air.

Pierre Montmory

http://www.easyvoyage.com/easygame

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C
Très jolie histoire. Lisant pratiquement tout de l'auteur depuis son arrivée sur le site, j'ai pu constater qu'il se surpassait et nous surprenait à chaque fois. Et je collectionne ses écrits. Les pubs nous gênent un peu pour lire (je rencontre les mêmes problèmes pour mes poèmes, cela gêne aussi les lecteurs potentiels.) C'est ainsi. Alors on fait abstraction quand cela arrive. Encore bravo.
Répondre
L
Le texte est vraiment très beau, mais c'est dommage, la présentation du blog, pleine de pubs, de boutons, et laide tout simplement, gâche tout.
Répondre
P
Lalala, les pubs sont parties !<br /> <br /> Pierre