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Le blog de Pierre Montmory

LE POÈTE ASSASSINÉ

LE POÈTE ASSASSINÉ
LE POÈTE ASSASSINÉ
1.
Apollinaire est mort dans le plus grand dénuement et la solitude car les vieux machins de l'époque ne le considéraient pas encore comme assez mort pour se taire et leur rappeler que, eux, les éditeurs ratés et autres sans talent vivaient comme des morts alors que lui, le poète, vivant ou mort vit par-dessus l'éternité. Les nécrologues de l'art de vivre sont les fossoyeurs de la joie et de l'innocence. Ils ont la bedaine pleine et parfois des diplômes ces oisifs de la cervelle qui ramassent après leur dernier souffle l'écuelle des malheureux pour leur collection d'artefacts. On ne garde que ceux qui ont un certificat de décès établi par les conservateurs et qui sont reconnus comme chaire inerte à triturer pour en faire de jolis mots et catalogues dans leurs salons mortuaires. Et l'on réédite à qui mieux mieux les stèles inamovibles des preux tandis que le vivant valeureux, aventurier de ses noces avec la vie, est mis de côté dans l'indifférence polie des censeurs. Le poète, de son vivant, à moins d'imiter servilement ce que les conservateurs apprécient, n'a que le choix de dire et de chanter sans être entendu, car les humains ont la paresse de prendre pour acquis ce qui leur est donné, sans avoir à se questionner où répondre aux paroles qui s'envolent du coeur des amants de la vie que sont les gens libres amoureux sans raison. Ces collectionneurs d'art jouissent de posséder ces reliques mais n'ont point de coeur pour aimer celui qui les ferait vivre autrement que dans leur costume de croque-morts. Et l'on se fiera pour l'instant aux avis des spécialistes pour déchiffrer ce que l'on est incapable de concevoir mais qui, avec des formules, des théories et des concepts permet de se faire accroire que l'on est bon, intelligent, généreux et, qu'en plus on a du talent par-dessus les tombes. Nos enfants n'ont qu'à s'aligner pour servir cette viande froide et les cons vivent heureux d'être bêtes. Le poète, l'aventurier, l'Homme libre, n'a que faire de ces réunions mondaines, de ces rassemblements de "poètes officiels" qui nuisent à l'entendement des muses parce que le temps demande la paix, le pain, la parole aux malheureux. On ne devrait écouter que les poètes vivants qui ont faim, qui ont peur, qui ne sont pas écoutés par leurs contemporains, ceux qui sont hagards et sans yeux ni oreilles parce-que les meilleurs et les plus forts leur marchent dessus comme s'ils n'existaient que dans la poussière piétinée par la vanité orgueilleuse des bourgeois. Apollinaire s'en souvient quand il rentre à l'hospice pour y laisser sa carcasse désolée. Le poète ne quittera pas ses semelles de vent car c'est à cela qu'on le reconnaît. Les bibliothèques et les musées connaissent si peu les véritables aventuriers qui, pour leur sécurité ont préféré, dans l'anonymat, donner gratuitement ce qu'ils avaient à donner. Car le don du poète lui est gratuit. Il est la vie. Le début et le commencement. Alors, bourgeois, accueillez-le au moins une bonne fois, comme votre sauveur. Mais les bourgeois, qui passent vite de vie à trépas, n'ont pas le temps pour aimer, l'argent est leur seul dieu et la monnaie leur consolation. Qu'on édite et qu'on médite les morts ! Rabâcher des paroles mortes est le passe-temps des bourreaux. Les victimes sont les contemporains, clients pour la viande morte. Les poètes se moquent de ces fariboles qui ne les atteignent même pas. La muse ne materne que l'enfant roi. Et le roi sera celui qui, soldat et poète, conquerra le vent !
2.
PLACE DU POÈTE DANS LES NÉCROPOLES DU MONDISTAN
La place des poètes est au cimetière où on expose leurs corps sur les murs, leur voix dans les courants d’air.
Les lieux de vie sont vides sans peintures ni cris d’humains et personne ne danse dans l’espace des villes aseptisé et froid comme une morgue.
Les croquemorts de la culture organisent des cérémonies dans des caves sombres où même la nuit est une ennemie.
La police des âmes surveillent les alentours des festivités pour que nul vivant ne trouble ces réunions de nécrologues.
Les spécialistes dissèquent les vers des poèmes exquis après digestion des cadavres pour la postérité.
Les journalistes de la mort créditent les cotes des chefs-d’œuvres dans les médias en papier torche-culs.
Le grand sinistre du culte signe les faire part pour l’édition du silence absolu jusqu’au fond des banques de cendres.
Le président de l’Ordure renouvelle ses vœux de postérité dans l’inflation de son discours en langue de marbre.
Et les grands Saigneurs propriétaires des autels de la putréfaction donnent aux peuples civilisés une fête orgiaque de gabegie charnelle.
La place des poètes dans le Mondistan est au cimetière.
Le poète qui se trouverait seul serait déclaré ennemi numéro un et les délateurs populaires le conduiraient au bûcher des impositions.
3.
PENSÉES POUR UN VAGABOND
Le poète vagabond vit d’exils volontaires, ou bien il meurt prisonnier du grand troupeau sédentaire. Les habitants du temps fixent les horizons, tandis que le libre n’a qu’un présent dans sa besace. Son poème n’a pas de frontière, et seule sa voix porte le message, quand ses pas le mènent d’un même endroit à l’autre.
L’exilé éternel fait des bonds sur les vagues enchantées de la mer - patrie des marins qui vont de terres en terres échouer leur exil salutaire. Tant que le vent sera, leurs voiles auront le souffle pour voir. Leur bateau portent parole jusqu’aux ports de leur attente, et la dernière, patiente fiancée, sera veuve des abîmes du ciel.
Le vagabond rejeté par le temps ne revient pas sur ses pas maudits. Par d’autres sens, il trace son éphémère conscience. À demi rêve et demi chair, il nourrit son pauvre corps de chimères. Pourtant le regret l’appelle au retour, mais jamais remord ne lui joue de tour. Car il est itinérant sur les horizons intouchables, où l’intérêt ni l’envie n’ont plus cours.
Anonyme, il est d’une immense valeur mais pas coté en bourse, et les désespérés y gagnent la beauté de leur geste et l’amour du chant. L’Humanité est un couple femme et homme qui veut écrire son nom dans le cœur des arbres, près des fontaines où les sources se rejoignent pour danser la joie de vivre.
Aucune parole dite ni jamais de mot pour dire tout à la fois - la promesse et le don des présents cueillis dans les champs de l’eau et les sillons de terre, car le feu ne se propage que dans l’air et les chansons sont des ouvrages fabriqués après le beau temps, comme après l’orage. L’humain n’est que l’ouvrier qui se construit lui-même sur la pierre des chemins.
4.
POÈTE ?
Un poète c’est une mère qui se lève la nuit pour bercer son enfant qui a fait un vilain cauchemar.
Un poète c’est un type qui se lève la nuit pour prendre son bébé et le coller sur le sein de la mère épuisée.
Un poète c’est un type qui parle à ses enfants sans regarder l’heure sauf quand il faut qu’il retourne au turbin alors il les embrasse à l’étouffée et l’haleine de ses baisers les protège du mal.
Un poète c’est un type qui écrit des vers quand on rit dans la maisonnée et qu’c’est à son tour de s’affaler dans l’fauteuil près d’la cheminée.
Une poétesse c’’est une fille qu’on laisse après qu’elle nous ait comblés et qui en détresse écrit debout des vers rouges de mémoire.
Une poète c’est une avocate qui interpelle les darons de la justice pour défendre le code du travail.
Le poète a toujours raison car c’est lui qui fouette son cœur comme un cheval pour le trop de la raison.
La poétesse est celle qui après des brassées de lavage entonne des vers profonds dont les mots débordent de la simple sensation et ses paroles criées de l’encrier de sa mémoire à vif disent le sentiment le plus juste et les oreilles obligent la bouche à crier : Ollé! Allah! Awaye! Hourras! Nom d’un chien !
5.
LE DÉSESPOIR DU POÈTE
Il n'en peut plus, mais il pleut encore. Tricote serrées les mailles de tes larmes, ça te fera un manteau d'été et tu souriras sous le chapeau rigolo du ciel. Il peut encore mais il ne pleut plus, ce qu'il a plu. Alors, va nu, maintenant, sans conseil, jusqu'au sommeil du Soleil. La Lune attendra que tu gémisses pour te bercer et les étoiles te redonneront l'illusion d'être poète à leur Panthéon. Les Pandores retourneront dans leur caserne et les chats sortiront dans la ruelle. Et toi, les joues sèches tu regarderas dans les yeux de ton amour et ton coeur décochera des flèches dans l'attente du jour. Le jour comme une brûlure réveillera la plaie de l'ordinaire. Poète, tu vis d'extras quand tu as négocié ta liberté. Alors, ne pleure pas. Ris, comme on rit la journée, sans savoir l'heure, s'il est temps de rentrer ou, grâce à ton amour, reste dehors, et, il se peut qu'il pleuve un peu, juste une brume sur les cheveux blonds de ta brune. Pleure un peu ! Tu rafraîchis le Soleil.
6.
N’écris pas pour passer le temps

N’écris pas pour passer le temps
Ne joue pas au poète

Le poète ne joue pas et n’écrit pas pour passer le temps.
Le jeu est vicieux et le temps arrogant

Le peintre ne décore pas la vie
La vie est son décor

Le danseur ne fait pas le beau
Le beau le torture affreusement

Le musicien ne distrait pas longtemps
Le silence mortel le rattrape

L’interprète obéit à un génie
Quand les muses l’inquiètent

L’écrivain recopie des images muettes
Et des paroles murmurées

N’écris pas pour passer le temps
Ne joue pas au poète

Si tu n’entends rien reste sourd
L’expression est au sentiment

Creuse profond la terre
Au fond sont les tourments

Et si ton geste est utile
Jaillira une lumière

Du savoir garde le fanal
Emploie-le pour le bien

Tu feras le pain
Avec la farine de chacun

Tu feras l’oiseau
Si on te donne des ailes
7.
Quel poète ?
Quel poète a un courage politique ?
Qui ne supporte pas les paroles murmurées et la musique douce ?
Qui crie dans l'air vicié?
Qui meurt dans le silence légal ?
Qui écrit
avec une plume de conscience
trempée dans le sang de son coeur?
Qui est humain avant de paraître ?
Qui chante d'une voix anonyme ?
Qui videra le sable de ses souliers après la grande traversée ?
Qui donne les larmes aux réprouvés ?
Qui bouche les canons avec sa raison ?
Qui déchire sa peau aux barbelés des prisons ?
Qui nous donne père et mère vivants ?
Qui prend la main des enfants ?
Qui gratte la terre avec ses ongles ?
Et qui nous berce jus
qu'à la tombe
et qui fleurit l'ombre
et qui est tombé ?
Un enfant !
Un enfant !
Un enfant !
Un enfant !
gravure de Valloton
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