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Le blog de Pierre Montmory

ÉTAT DE SIÈGE - Poème de Mahmoud Darwich

ÉTAT DE SIÈGE - Poème de Mahmoud Darwich

ÉTAT DE SIÈGE

Poème de Mahmoud Darwich

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Ici, aux pentes des collines, face au crépuscule et au canon du temps

Près des jardins aux ombres brisées,

Nous faisons ce que font les prisonniers,

Ce que font les chômeurs :

Nous cultivons l’espoir.

* * *

Un pays qui s’apprête à l’aube.

Nous devenons moins intelligents

Car nous épions l’heure de la victoire :

Pas de nuit dans notre nuit illuminée par le pilonnage.

Nos ennemis veillent

Et nos ennemis allument pour nous la lumière

Dans l’obscurité des caves.

* * *

Ici, nul « moi ».

Ici, Adam se souvient de la poussière de son argile.

* * *

Au bord de la mort, il dit :

Il ne me reste plus de trace à perdre :

Libre je suis tout près de ma liberté.

Mon futur est dans ma main.

Bientôt je pénètrerai ma vie,

Je naîtrai libre, sans parents,

Et je choisirai pour mon nom des lettres d’azur...

* * *

Ici, aux montées de la fumée, sur les marches de la maison,

Pas de temps pour le temps.

Nous faisons comme ceux qui s’élèvent vers Dieu :

Nous oublions la douleur.

* * *

Rien ici n’a d’écho homérique.

Les mythes frappent à nos portes, au besoin.

Rien n’a d’écho homérique. Ici, un général

Fouille à la recherche d’un État endormi

Sous les ruines d’une Troie à venir.

* * *

Vous qui vous dressez sur les seuils, entrez,

Buvez avec nous le café arabe

Vous ressentiriez que vous êtes hommes comme nous

Vous qui vous dressez sur les seuils des maisons

Sortez de nos matins,

Nous serons rassurés d’être

Des hommes comme vous !

* * *

Quand disparaissent les avions, s’envolent les colombes

Blanches blanches, elles lavent la joue du ciel

Avec des ailes libres, elles reprennent l’éclat et la possession

De l’éther et du jeu. Plus haut, plus haut s’envolent

Les colombes, blanches blanches. Ah si le ciel

Était réel [m’a dit un homme passant entre deux bombes]

* * *

Les cyprès, derrière les soldats, des minarets protégeant

Le ciel de l’affaissement. Derrière la haie de fer

Des soldats pissent — sous la garde d’un char -

Et le jour automnal achève sa promenade d’or dans

Une rue vaste telle une église après la messe dominicale...

* * *

[A un tueur] Si tu avais contemplé le visage de la victime

Et réfléchi, tu te serais souvenu de ta mère dans la chambre

A gaz, tu te serais libéré de la raison du fusil

Et tu aurais changé d’avis : ce n’est pas ainsi qu’on retrouve une identité.

* * *

Le brouillard est ténèbres, ténèbres denses blanches

Épluchées par l’orange et la femme pleine de promesses.

* * *

Le siège est attente

Attente sur une échelle inclinée au milieu de la tempête.

* * *

Seuls, nous sommes seuls jusqu’à la lie

S’il n’y avait les visites des arcs en ciel.

* * *

Nous avons des frères derrière cette étendue.

Des frères bons. Ils nous aiment. Ils nous regardent et pleurent.

Puis ils se disent en secret :

« Ah ! Si ce siège était déclaré... » Ils ne terminent pas leur phrase :

« Ne nous laissez pas seuls, ne nous laissez pas. »

* * *

Nos pertes : entre deux et huit martyrs chaque jour.

Et dix blessés.

Et vingt maisons.

Et cinquante oliviers...

S’y ajoute la faille structurelle qui

Atteindra le poème, la pièce de théâtre et la toile inachevée.

* * *

Une femme a dit au nuage : comme mon bien-aimé

Car mes vêtements sont trempés de son sang.

* * *

Si tu n’es pluie, mon amour

Sois arbre

Rassasié de fertilité, sois arbre

Si tu n’es arbre mon amour

Sois pierre

Saturée d’humidité, sois pierre

Si tu n’es pierre mon amour

Sois lune

Dans le songe de l’aimée, sois lune

[Ainsi parla une femme

à son fils lors de son enterrement]

* * *

Ô veilleurs ! N’êtes-vous pas lassés

De guetter la lumière dans notre sel

Et de l’incandescence de la rose dans notre blessure

N’êtes-vous pas lassés Ô veilleurs ?

* * *

Un peu de cet infini absolu bleu

Suffirait

A alléger le fardeau de ce temps-ci

Et à nettoyer la fange de ce lieu

* * *

A l’âme de descendre de sa monture

Et de marcher sur ses pieds de soie

A mes côtés, mais dans la main, tels deux amis

De longue date, qui se partagent le pain ancien

Et le verre de vin antique

Que nous traversions ensemble cette route

Ensuite nos jours emprunteront des directions différentes :

Moi, au-delà de la nature, quant à elle,

Elle choisira de s’accroupir sur un rocher élevé.

* * *

Nous nous sommes assis loin de nos destinées comme des oiseaux

Qui meublent leurs nids dans les creux des statues,

Ou dans les cheminées, ou dans les tentes qui

Furent dressées sur le chemin du prince vers la chasse.

* * *

Sur mes décombres pousse verte l’ombre,

Et le loup somnole sur la peau de ma chèvre

Il rêve comme moi, comme l’ange

Que la vie est ici... non là-bas.

* * *

Dans l’état de siège, le temps devient espace

Pétrifié dans son éternité

Dans l’état de siège, l’espace devient temps

Qui a manqué son hier et son lendemain.

* * *

Ce martyr m’encercle chaque fois que je vis un nouveau jour

Et m’interroge : Où étais-tu ? Ramène aux dictionnaires

Toutes les paroles que tu m’as offertes

Et soulage les dormeurs du bourdonnement de l’écho.

* * *

Le martyr m’éclaire : je n’ai pas cherché au-delà de l’étendue

Les vierges de l’immortalité car j’aime la vie

Sur terre, parmi les pins et les figuiers,

Mais je ne peux y accéder, aussi y ai-je visé

Avec l’ultime chose qui m’appartienne :

le sang dans le corps de l’azur.

* * *

Le martyr m’avertit : Ne crois pas leurs youyous

Crois-moi père quand il observe ma photo en pleurant

Comment as-tu échangé nos rôles, mon fils et m’as-tu précédé.

Moi d’abord, moi le premier !

* * *

Le martyr m’encercle : je n’ai changé que ma place et mes meubles frustes.

J’ai posé une gazelle sur mon lit,

Et un croissant lunaire sur mon doigt,

Pour apaiser ma peine.

* * *

Le siège durera afin de nous convaincre de choisir

Un asservissement qui ne nuit pas, en toute liberté !!

* * *

Résister signifie : s’assurer de la santé

Du cœur et des testicules, et de ton mal tenace :

Le mal de l’espoir.

* * *

Et dans ce qui reste de l’aube, je marche vers mon extérieur

Et dans ce qui reste de la nuit, j’entends le bruit des pas en mon intention.

* * *

Salut à qui partage avec moi l’attention à

L’ivresse de la lumière, la lumière du papillon, dans

La noirceur de ce tunnel.

* * *

Salut à qui partage avec moi mon verre

Dans l’épaisseur d’une nuit débordant les deux places :

Salut à mon spectre.

* * *

Pour moi mes amis apprêtent toujours une fête

D’adieu, une sépulture apaisante à l’ombre de chênes

Une épitaphe en marbre du temps

Et toujours je les devance lors des funérailles :

Qui est mort... qui ?

* * *

L’écriture, un chiot qui mord le néant

L’écriture blesse sans trace de sang.

* * *

Nos tasses de café. Les oiseaux les arbres verts

A l’ombre bleue, le soleil gambade d’un mur

A l’autre telle une gazelle

L’eau dans les nuages à la forme illimitée dans ce qu’il nous reste

* * *

Du ciel. Et d’autres choses aux souvenirs suspendus

Révèlent que ce matin est puissant splendide,

Et que nous sommes les invités de l’éternité.

+++

 

 

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