27 Mars 2021
LE CHEMINEAU
Le désert n'est pas indifférent avec celui qui ne s'appelle pas Mohammed.
Si tu n’es pas mouton, les bergers t’indiffèreront et le loup te respectera.
Alors soit l’homme à la noble marche et dans les Nations soit un piéton.
Tu commerces avec les marchands et partages le pain avec les amis.
Choisis un nom étranger si tu veux être mis de côté mais réponds oui si tu te sens aimé.
Prends la couleur des murs et l’odeur des rues pour passer les frontières.
Continue ton chemin tant que ton cœur patientera et arrête-toi au sourire d’une belle.
L’enfant sera un nouveau monde au monde s’il est le fruit d’un travail.
L’enfant sera à tout le monde si tu te souviens de tous tes pères.
Les mères portent l’enfant mais l’humain sera le lait à maturité.
L’accent est la musique de la langue et le mot un battement de cœur.
Imite l’étranger pour éveiller l’enfant en lui et si tu le fais sourire, montre-toi.
Le jeu apprend les mondes aux gens et tu seras la mise quand l’amitié sera l’enjeu.
Parce qu’à la belle tu dis oui chérie tu as raison et que tu fais ce que tu dois faire selon toi.
Pour toi tu seras tenté souvent par les chemins de traverse mais un autre se perdra dans des travers.
Il y a des cailloux sur la route et des faux pas dans un poème.
Tu resteras un étranger chez les insensés et un hôte chez les amoureux.
Parce que l’amour est ton seul pays et que les cœurs se ressemblent.
L’amitié te différencie de tes autres comme ils sont tous poètes.
Pas besoin de nom ni de chiffres ni de lettres pour aimer et donc pour être aimé.
Après le premier sourire au premier rayon du soleil la belle s’enfuit pour que tu la retiennes.
Elle danse, tu es son maître, mais elle est la muse. Et ton génie s’y use la bouche humide, elle flaire bon ta moustache.
Laisse les cavalières sur les pistes toutes tracées et prend une marcheuse à tes côtés dans les sentiers.
Au clair des lunes l’amour est tout, l’amour est tout seul, avec deux cœurs et un pain entier.
Attache le nouveau-né à ta poitrine et que les muses nouvelles viennent s’y coller.
Tu auras le goût du départ et la hâte des arrivées au premier babillement des aurores.
Va, chemineau !
L’anonymat aurait sauvé Jésus mais les marchands voulaient faire une affaire.
On t’a donné un nom mais tu ne te souviens de rien, quand t’interroge l’inconnu.
Seulement la police cherche à quel identique tu dois être pareil au même.
Fuis les carrefours, éteins tes feux, si l’haleine des chiens pue, si sonnent les alarmes, si hurlent les sirènes de la tyrannie.
Saute dans le fossé, planque-toi, prends ta chance, vaut mieux crever vivant que de te rendre mort.
La désobéissance est ta dernière liberté quand les humains n’ont plus de cœurs et sont devenus clients de l’oppression.
Mais pas tous ne sont restés à l’état de bêtes immondes et donc pas tous ne brisent les liens sacrés de la vie.
Tes amis t’attendent derrière les frontières identitaires, au-delà des murs imaginaires.
La rose pleure à cause des blessures causées par ses épines, mais les genêts renaissent par milliers avec le printemps; quand la sève monte vers le cœur de l’Univers, ton corps fourbu compose une danse et tu chantes joies et peines.
La muse musicienne glane les épis de l’éternel et l’éternel l’aimera avant l’hiver de la terre.
Elle, la belle, elle te tourne la tête vers son tablier bombé; sa bouche retient un coquelicot printanier, va la bécoter !
La terre roule sous tes pieds depuis tant et tant de saisons, que l’aimée se répète à chaque horizon, tant vit ton désir; tant l’éternel plaisir.
La conquête de toi-même par cette autre - qui est ici l’amie belle; une rencontre comme une eau fraîche sur ton cœur brûlant.
Quand le peuple sort de sa quarantaine, Moise écrit encore et les gens n’entendent pas la suite de ses paroles. Et ce que Moise écrit, c’est la fin du temps et de ces gens : Ô les sourds ! Ô les aveugles rendus indifférents !
Mais, le solitaire, sort du troupeau, il est orphelin de tout, il n’a ni pays, ni nom, ni bien, ni couleur définie, un âge incertain, mais son cœur est neuf et son courage vaillant.
Seul, il continue la marche de son temps à son pas comme s’il était le berger d’un troupeau invisible, il commande à sa destinée, en marchant, et chaque fois que son pied écrase le sol, ses yeux dérobent la lumière de l’instant.
Et à force de solitaires, la Terre a ridée sa face de parchemin, où le vent et le sable jouent à marquer et à effacer des paroles, comme pour rire de la tragique comédie qui se joue en marchant.
Heureux l’anonyme bienfaiteur qui fait le bien sans compter.
Les enfants de l’amour ramassent pas à pas, lettre après lettre, les mots trouvés pendant leur cheminement, et à l’arrêt ils composent des airs dans leur gorge, puis laissent aller tout leur souffle pour chanter nos joies et nos peines.
Les mots trouvés seuls sont les meilleurs. Distribue tes trouvailles tout autour les amis sauront les recevoir.
Nombreux les jaloux qui te rabroueront et les bons à rien qui se moqueront. Le bruit ne fait pas la musique.
Tu te lèveras chaque matin ne sachant pas si tu te réveilleras le lendemain, alors, reprends ta marche saine et embrasse ta mie, vous aurez du bon pain avec votre farine, celle qui marche sur la terre et celle qui lève dans le ciel.
Le sans-nom et n’avoir pas, se nomme poète et donne le peu qu’il possède, et si la qualité demeure, nous ne cesserons d’exister.
Le bien être s’offre à la beauté et le bon avoir satisfait l’hospitalier.
Sans amour on ne peut être reçu, ainsi on dit d’un oiseau qui se pose sur une branche. L’arbre le salue et le vent lui ouvre la porte.
Le fier désert n’est pas insensible aux vagues de sable et les cités de pierres devraient l’entendre et rester modestes.
La nature est dans un homme qui chemine et plante des arbres, sème ses récoltes, entasse les pierres.
Va, chemineau !
Le rossignolet affûte son cri sur le premier rayon de l’aube.
Lorsque ma muse s'absentera, c'est que je serai parti.
Si la muse s'en va, c'est qu'elle veut que je la retienne.
L’hiver fait son ménage, poussières de neige, gouttes de pluie glacées, poignées de vent gelé.
Je reviendrais sur mes pas si le passé existait; je ne pourrais que regretter mon illusion, et je pourrais avaler mon remord quand le jour se lèverait dans mes reins.
Le printemps ignore toute pitié; il suffit d’aimer le secret des choses; il suffit d’aimer les portes closes.
Je peux. Mais les pierres du chemin, les ornières, les fondrières. Je peux. Avec la douleur. Je peux. La souffrance se laisse vaincre. Et je serai vainqueur.
Le chemineau, va, soliloque, et ses pensées pendouillent à son cou comme breloques; et sa peine arrondit son dos; puis, son pied achoppe une caillasse, son dos se redresse, mais, l’autre, l’autre qu’il espère, l’autre n’est pas encore arrivé à son bord et la route n’en finit pas d’allonger.
Il serre les dents et appuie son pied de toute sa force sur le sol, à en crever la terre !
La soif plus grande que la faim, crache le vent. La gueule de bois grince, geint le froid.
La souffrance est une gueuse qui se moque du mauvais temps et traite les marins de bons à rien.
Mais aussi cette muse qui l’attend là-bas sur son île; cette muse qui le fait languir - sans qu’il fut jamais possible qu’elle vint à lui; mais alors cette muse le contraint à fixer son cap sur ses rivages situés juste en dessous des jupes de la mer.
Vent debout sa carcasse s’amène à l’aveugle vers un naufrage attendu. Son désir se nomme prédestinée.
Où se trouve la terre où le corps échouera ? Quel ciel vous entendra – peut-être, crier hourras ?
Le vent soulève tant de questions à la torture !
La réponse est dedans, là, où le travail se fait. Et le remède au mal, le bien trouvé, gratuit. Oui, se rappeler le travail.
Va, chemineau !
Il avait rêvé d’une île, mais c’était une ville. Pas une fille à peau neuve, mais une vieille femme en guenilles.
Il a marché sans voir dans le brouillard de ses pensées jusqu’à ce que sa faim l’arrête et qu’une main rude tendue par la faiblesse lui fit un creux dans son cœur lent pour qu’y tomba le secours.
Il était un sans-nom et il était un n’avoir pas. La ville l’accueillait comme elle accueille toute humanité, par politesse. La ville n’a point de petitesse.
Il sentit le toucher neutre d’une pièce de ferraille dans sa main. Il balbutia un merci à une ombre qui filait. Son regard croisa le visage de la monnaie et il estima que sans doute il l’échangerait contre du pain.
La monnaie se donne et le pain se prend. Il avala son aumône et serra les poings.
Il lève la tête et voit devant lui un écriteau : on embauche. Il ne s’entend pas demander que quelqu’un dit : « Vous pouvez laver la vaisselle? » alors il semble qu’il dit à voix forte : « Ouais ! ».
Et le voilà qu’il lave des gamelles et des gamelles et s’apprend qu’il pourra remplir la sienne plus tard. Et même que son employeur lui fournit une mansarde pour y allonger ses hardes et y relever son estime de lui-même, marin d’eau trouble.
Passe le repos, la ville crie ses envies, alors il dévale un boulevard et rentre dans un café avenant. Qu’il est bon de s’asseoir et de jouer au client.
Il siffle un serveur et aguiche au comptoir une souris à l’air tendre qui lui mange les yeux alors qu’il plonge et se noie dans un fol désir.
Va, chemineau !
Pierre Marcel Montmory trouveur