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Le blog de Pierre Montmory

NIZAR QABBANI - LES VOYAGEURS

NIZAR QABBANI - LES VOYAGEURS

LES VOYAGEURS

- poème de Nizar Qabbani –

 

Nous sommes des voyageurs sur un bateau de chagrins

Notre chef est un mercenaire

Et notre cheikh est un pirate

Citoyens sans patrie

Ils sont pourchassés comme des oiseaux sur les cartes du temps

Des voyageurs sans papiers... et des morts sans linceul

Nous sommes les prostituées de l'époque

Chaque dirigeant nous vend et prend le prix

Nous sommes à côté du palais

Ils nous envoient de pièce en pièce

De poing en poing

De propriétaire à propriétaire

Et d'idole en idole

Nous courons comme des chiens tous les soirs

D’Aden à Tanger

De Tanger à Aden

Nous recherchons une tribu qui nous acceptera

Nous cherchons un rideau pour nous couvrir

Et à propos du logement

Et autour de nous, nos enfants se sont courbés et ont vieilli

Ils recherchent dans de vieux dictionnaires

A propos d'un paradis

A propos d'un gros...gros mensonge

C'est ce qu'on appelle la maison

Nos noms ne sont pas comme des noms

Ceux qui boivent de l'huile ne nous connaissent pas

Ni ceux qui boivent des larmes et de la misère

Détenu dans le texte écrit par nos dirigeants

Emprisonné dans la religion telle qu'interprétée par notre imam

Nous sommes piégés dans la tristesse... et la chose la plus douce chez nous est notre tristesse.

Nous sommes surveillés au café... et à la maison

Et dans le ventre de nos mères

Notre langue... est coupée

Et notre tête... a été coupée

Notre pain est mouillé de peur et de larmes

Si on se plaint au coupe-fièvre, on nous dit : C'est interdit

Quand nous prions le Seigneur du Ciel, on nous dit : Il est interdit

Et si nous crions, ô Messager de Dieu, aide-nous

Ils nous donnent un visa sans retour

Si on demande un stylo pour écrire le dernier poème

Où nous écrivons le dernier testament avant de mourir par pendaison

Changer de sujet

Oh mon pays, crucifié au-dessus du mur de la haine

Oh, la boule de feu qui se dirige vers l'abîme

Personne de Mudar... ni de Bani Thaqif

Il a donné à ce pays qui saigne

Une bouteille de son sang et de son urine

Personne n'est à côté de cette cape en patchwork

Un jour je te donnerai un manteau ou un chapeau

Oh, ma patrie brisée est comme une herbe d'automne

Nous sommes déracinés comme des arbres de chez nous

Déplacé de nos espoirs et de nos souvenirs

Nos yeux ont peur de nos voix

Nos dirigeants sont des dieux avec du sang bleu qui coule dans leurs veines

Nous sommes les descendants de la femme esclave

Ni les maîtres du Hijaz ne nous connaissent, ni la populace du désert

Ni Abu Al-Tayeb ne nous accueillera, ni Abu Al-Atahiya

Si un tyran décède

Nous nous sommes rendus à un tyran

Nous sommes des immigrants des ports de fatigue

Personne ne veut de nous

De la mer de Beyrouth à la mer d'Oman

Ni les Fatimides... ni les Qarmates

Ni les Mamelouks... ni les Baramouks

Ni diables... ni anges

Personne ne veut de nous

Personne ne nous lit

Dans les cités du sel, des millions de livres sont massacrés chaque année

Personne ne nous lit

Dans les villes où le Département d'enquête de l'État est devenu le parrain de la littérature

Nous sommes des voyageurs sur un bateau de chagrins

Notre chef est un mercenaire

Et notre cheikh est un pirate

Ils sont entassés dans des cages comme des rats

Il n'y a aucun port qui nous acceptera

Aucun pub ne nous accepterait

Tous les passeports que nous portons

Publié par Satan

Tous les écrits que nous écrivons

Le sultan n'est pas impressionné

Voyageurs hors du temps et de l’espace

Des voyageurs qui ont gaspillé leur argent... et leurs bagages

Ils ont perdu leurs enfants... ils ont perdu leurs noms... ils ont perdu leur affiliation...

Ils ont perdu leur sentiment de sécurité

Ni les Banu (...) ne nous connaissent, ni les Banu Qahtan

Ni Banu Rabia... ni Banu Shayban

Ni les fils de Lénine ne nous connaissent... ni les fils de Reagan.

Oh mon pays... tous les oiseaux ont une maison

Sauf les oiseaux qui connaissent la liberté :

"Ils meurent hors de leurs  pays natals."

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