Un message depuis Alep sur le renversement du régime syrien. Syrie tombée et en même temps libérée. Je sais que certaines personnes ne comprennent pas ce...
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Un message depuis Alep sur le renversement du régime syrien.
Syrie tombée et en même temps libérée.
Je sais que certaines personnes ne comprennent pas ce qui se passe et ne comprennent pas cette transition.
Nous sommes en sécurité, confus, heureux, incertains, mais c’est une nouvelle page et nous avons de l’espoir pour le futur mais surtout, et aussi surprenant que cela puisse paraître, je me sens en sécurité pour la première fois depuis plusieurs années.
Je rappelle que mon témoignage est celui d’un civil, d’un humanitaire sur le terrain depuis de nombreuses années avec tous les dangers que ça signifie, je ne suis pas un analyste politique, ce n’est pas ma mission.
Restez ouverts d’esprit, ce qui compte ce sont les gens et si vous voulez comprendre ce qui se passe, parlez aux gens ici, pas aux expatriés, pas aux journalistes…
Le temps permettra de clarifier certaines choses et de remettre la balance à niveau, maintenant que je peux partager sans danger je vais essayer de le faire petit à petit dans le futur.
Pierre Le Corf
Pierre Le Corf est à Alep, Syrie., le 30 mai 2021
Suis-je un espion?
Un des angles que je n’ai jamais abordés à propos de mon travail ici mais que je veux partager.
Au départ, après les bombes, le plus difficile a été l’abandon de mes amis et volontaires. Je me suis fait des amis malgré la guerre, beaucoup étaient intrigués de voir un étranger arriver en Alep et s’installer, j’ai rencontré des gens qui m’ont beaucoup touché, certains à qui je me suis lié, … jai essayé de commencer à créer des projets, … puis petit à petit tout le monde ou presque a disparu. Certains ont pris de réelles distances, certains ont juste disparu, certains sont venus me voir pour s’excuser et me dire qu’ils allaient cesser de s’adresser à moi ou de passer du temps avec moi. Le dernier à me laisser tomber à ce moment n’avait plus le choix, des amis, des voisins allaient voir ses parents en leur disant de faire attention etc. beaucoup de pression. Heureusement il y a eu quelques personnes qui sont restées à mes côtés ❤ Sans compter que je jouais un peu les trompe-la-mort au quotidien, ça été très dur, j’ai dû vraiment m’accrocher pour être capable de continuer et de tenir émotionnellement parfois.
Pourquoi on me larguait en cours de route? La peur que je sois un espion ou un officier de renseignements et que je mette en danger ceux qui me fréquentaient.
Et non, je ne suis pas un espion ou quoi que ce soit de similaire.
Ca m’a poursuivit et ça me poursuit encore. En allant à la préparation d’un repas pour Ramadan, une amie discutait avec le responsable qui lui a dit: « tu crois vraiment qu’il vient seulement pour aider la Syrie? ». Parfois c’est assez épique, un responsable de quartier là ou je vivais était persuadé que j’étais un officier de la DGSE, un autre que j’étais un officier du Mossad (???) de l’autre côté certains terroristes pensent que je suis un officier de renseignement pour le gouvernement Syrien ou du SVR Russe (…)
Certaines personnes m’ont vu dans des situation compliquées et prendre des risques pour sauver des gens, d’autres ont rejoint mes projets, (…) j’ai gagné une sorte de confiance locale, de bouche à oreille … auprès des autorités j’ai évidemment été blanchi sinon je ne serais pas le bienvenu ici … mais ce sentiment est quand même parfois lourd à porter, parfois blessant. Je comprends le regard des gens, on leur à appris que tout étranger est potentiellement un espion. Je crois que peu de Syriens ne se demandent pas pourquoi je suis ici, … la réponse est simple mais dans un contexte compliqué ou beaucoup de pays, dont la France malheureusement, sont mobilisés dans cette guerre contre la Syrie et contre les Syriens.
Que ce soit en France ou dans d’autres pays, j’ai essayé de faire une différence, j’ai essayé de créer des projets, d’aider … parfois je me suis planté, parfois ça a apporté plus que je ne l’aurais jamais imaginé … ici, je suis tombé amoureux du pays, de gens qui m’ont touché, j’ai voulu me battre pour faire une différence à toutes les échelles, peut-être trop, je n’en dormais pas la nuit entre les merdes qui nous tombaient sur le coin de la gueule, les tragédies, la peur etc. mais j’ai essayé et j’essaye. Ici le statut est roi, il faut avoir l’air sérieux, assuré et fort … il faudrait que je dise que je suis président de mon organisation pour être + crédible et blabla … j’ai passé mes 30 ans cette année, malgré ma vie bien remplie je préfère vraiment me percevoir comme un jeune con qui essaye et tâtonne. J’essaye est le maitre mot, j’essaye d’aider et d’apprendre +.
Aider ne veut pas dire grand chose, pour moi aider c’est enseigner, encourager, être présent, inspirer, aimer, (…) Vous savez pourquoi j’ai créée une association? Pour faciliter la compréhension de mon amour pour les autres, me protéger et gagner du temps. Les gens ne comprennent pas ce qui ne porte pas d’étiquette. Va aider des gamins quelque part, on va te demander ce que tu fous là et pourquoi tu fais ça. Ce sera suspicieux. Porte la soutane ou une association, ca devient évidemment légitime, c’est une suite logique dans et au lieu de la suspicion tu trouveras de l’admiration et tout ce qui va avec. En fait pour être honnête je suis resté très discret, est-ce que beaucoup de gens connaissent mon asso ici? We are superheroes Non. C’est une carte de visite pour montrer « patte blanche » mais je suis resté très discret parce que les gens en général n’aiment pas les associations, beaucoup trop de mauvaises pratiques. Je porte une association mais pour moi elle ne veut rien dire, ce qui compte c’est l’action, c’est d’essayer, mais d’essayer le plus concrètement possible à ma vitesse.
En fait c’est une question légitime, qui suis-je pour aider les Syriens? Personne. Suis-je indispensable? Non. Est-ce que qui que ce soit m’a demandé de venir ici? Non. Est-ce que je suis un grand spécialiste humanitaire? Non. Suis-je un des ces sauveurs auto-proclamés? Certainement pas. J’aide, je donne, j’essaye, oui c’est peut-être étrange, courageux, dangereux, idiot (…) mais ce n’est pas unilatéral, je vis aussi, je reçois beaucoup, j’apprends, j’aime, je construis, je rencontre, je grandis … et je suis très reconnaissant.
Je suis fatigué parfois mais j’essaye de maintenir une bonne dose de courage de secours. On fait ce que l’on peut. De quoi est fait le futur? J’en sais rien mais tout ce que je sais c’est que je vais continuer à aider mais aussi à vivre, c’est aussi simple que ça.
Pierre Le Corf