16 Avril 2020
D’après Sotigui Kouyaté, artiste :
L’arbre sans ses racines n’existe pas. L’être humain est ainsi : nous sommes des arbres. La nature a un caractère indispensable et sacré. Pas de maison sans fondations !
Rien n’est facile et cela demande rigueur et intelligence mais aussi honnêteté et sincérité vis-à-vis de soi-même : aimer d’abord ce qu’on fait.
Il faut agir sans penser aux fruits de l’action, ce qui veut dire avoir foi en soi dans ce que l’on fait ! L’important est d’aimer et de faire ce qu’on a à faire.
L’être humain doit commencer par la connaissance de soi, c’est-à-dire connaître son ombre.
Les influences extérieures ont leurs bons côtés mais peuvent être néfastes si on en arrive à s’oublier soi-même. Aimer les autres et s’oublier soi-même est insensé.
Quand les sages se sont réunis pour savoir quelle était la pire des choses qui pouvait arriver à un être humain, ils ont conclu après mûre réflexion que c’était la maladie. Réfléchissant plus avant, ils ont conclu que c’était plutôt la mort. Puis, réfléchissant encore, ils ont conclu que c’était l’ignorance. Qui pouvait-on qualifier de plus ignorant ? Ils dirent que c’était celui qui ne mettait jamais le pied au-delà du seuil de sa maison : celui qui n’a pas su s’enrichir de l’Autre. On a besoin de l’Autre pour se compléter, non pour s’abandonner ni s’oublier.
C’est ainsi que je ne peux passer une journée sans trouver une opportunité de parler de mon enfance : non que j’y pense mais j’en parle, ce qui me ramène chez moi. L’extérieur ne peut remplacer l’intérieur mais peut le renforcer.
On a beau imiter à la perfection, on ne sera qu’une copie…
Cela passe-t-il par un enseignement ?
Le maître n’a pas de secret à transmettre à un disciple. L’enseignement spirituel consiste à amener l’être humain vers le meilleur de lui-même. Le maître ne peut avoir la prétention de donner mais d’aider à trouver ce que nous avons en nous sans le savoir.
Je ne peux dissocier la culture de la langue. Ma culture c’est ma langue. L’identification de l’étranger se fait par la langue.
Il y a trois vérités : la vérité, la vérité et la vérité.
La recherche de cette vérité nous fait partir vers l’Autre. Quand on est fort, on ne peut être déraciné en allant vers l’extérieur. Si on est fragile, c’est le déracinement.
Mais s’ouvrir revient à s’exposer et perdre des défenses.
L’enfant appartient à tout le monde : l’éducation est aussi dans la rue et chacun intervient. On remercie ainsi quelqu’un d’avoir corrigé son propre enfant.
La société se ferme sur elle-même.
Toute la question est là. C’est douloureux quand on ne se sent pas accepté.
On en revient au problème de l’ignorance : toute haine, tout racisme, toute exclusion est une ignorance, une méconnaissance de l’Autre.
Au lieu de te perdre dans le regard de l’Autre, essaye de t’y retrouver. En regardant bien l’Autre, tu peux te voir dans ses pupilles !
La valeur humaine se désagrège.
Je crois encore aux relations humaines et ose espérer qu’un jour le monde entendra raison.
Une histoire raconte qu’épuisé, fatigué de la vie, j’allais m’écrouler. Je vois une muraille. Je cours m’y adosser, mais la muraille cède. Je vois un gros arbre. Avec un effort immense, j’atteins l’arbre et m’y accroche. Mais l’arbre cède. Une personne passe par là. Je m’accroche à elle. Mais elle s’écroule elle-aussi. C’est à ce moment que l’espoir me tend la main et que je tiens la main de l’espoir.
Les êtres humains sont faits pour se rencontrer, et aucune barrière ne les sépare : les différences ne sont que complémentaires.
Les artistes sont les représentants de l’invisible. L’important se dit plus dans l’invisible et se sent plus fortement.
L’art est un moyen de communication universel permettant de toucher un monde en renouvellement. Et peut permettre aux gens de sortir de la méconnaissance.
L’art n’est malheureusement pas considéré comme un vecteur de développement. Ce n’est pas un souci réel pour nos gouvernements. C’est dommage et c’est grave. Nos artistes ne peuvent avoir de réelle potentialité si on ne leur accorde pas chez eux leur vraie place.
Certains pays ont des écoles mais qu’en font-ils après ? Certains pays ont des artistes considérés comme des fonctionnaires : ce ne sont pas des combattants au service de la défense de l’art. On en reste à une pratique éducative et intégrante.
Alors que l’art pourrait être un atelier du développement…
Oui, mais ce n’est pas dans cet esprit. L’étroitesse est de mise. La prise de position n’est pas faite, même si la conscience progresse. Et dans le cinéma, sans acteurs, il n’y a pas de cinéastes. Ils ne voient pas l’importance de l’acteur et privilégient la technique. Ils prennent des amateurs et les acteurs ne sont même pas indiqués dans les fiches techniques. Cela finit par donner de curieux mélanges… Les acteurs africains n’ont pas encore leur place, ni à l’étranger, ni auprès de nos frères.
SE PARLER
Il est bien difficile de parler aujourd'hui, car lorsque nous pouvions le faire nous nous sommes appliqué à nous taire, alors que nous savions tout, avertis que nous étions de notre éloignement de notre mère nature et pervertis par le soi-disant progrès et l'improbable destin; et nous avons laissé faire, délégant notre responsabilité à d'autres qui ont profité de notre timidité morale et de notre paresse de volonté, nous avons d'abord abandonné la première partie de nous-mêmes, nos enfants, et repoussé au loin l'inéluctable sortie en refoulant nos parents dans le passé et jetant dans l’abîme de l’oubli les valeurs universelles de l’Humanité, nous nous sommes lâchement confinés dans des rôles faussant nos sentiments, nous nous sommes imposé des identités xénophobes, puis, partageant la meurtrière ambition de devenir des quelqu’un possédant quelque-chose, nous avons contaminé notre être avec la fuite du temps, nous avons vendu la seule chose que nous possédons vraiment : la vie.
Pierre Marcel Montmory trouveur