8 Mars 2021
« Le combat des femmes
est une question
humaniste et non féministe » (Hedia Bensahli, romancière)
8 mars 2021 par Issam MERMOUNE
Au cœur des aléas du temps qui ne cessent de martyriser tout ce qui est féminin, sous l’étendard des conceptions politico-religieuses, la Journée internationale des droits de la femme doit, affirme l’écrivaine algérienne Hedia Bensahli, être « une journée de réflexion et d’action pour rappeler les efforts considérables déployés par les femmes partout dans le monde afin de façonner un futur et une relance plus égalitaires et surtout pour mettre en lumière les manques à combler. »
Aujourd’hui, nous célébrons la Journée internationale des droits de la femme. Le combat de la femme algérienne a toujours été déterminant dans toutes les phases historiques par lesquelles le pays est passé. Selon vous, quelle est la situation de la femme algérienne aujourd’hui ? Est-elle pleinement citoyenne ?
La Journée internationale des droits des femmes trouve son origine dans les manifestations de femmes au début du XXe siècle en Europe, aux États-Unis et en Russie où cette journée a été officialisée pour la première fois. Le but étant de dénoncer les discriminations, réclamer des meilleures conditions de travail et le droit de vote. Cette journée reflète un bouleversement de la société moderne dans laquelle les femmes ont pu montrer qu’elles n’étaient pas simplement des machines à enfanter, mais bien des citoyennes capables d’avoir un rôle prépondérant.
C’est en 1975, lors de l’Année internationale de la femme, que l’Organisation des Nations Unies (ONU) a commencé à célébrer la Journée internationale des femmes le 8 mars, il faut le dire, sous la pression des mouvements des femmes de l’époque qui se sont emparés de cette date pour en faire un moment fort de revendication. Mais attention ! Quand on dit « célébrer », il ne faut pas s’imaginer qu’il s’agit de « fête » comme j’ai pu le voir ça et là. Il faut comprendre que c’est normalement une journée de réflexion et d’action pour rappeler les efforts considérables déployés par les femmes partout dans le monde afin de façonner un futur et une relance plus égalitaires et surtout pour mettre en lumière les manques à combler. Le travail qui reste à réaliser est considérable.
Concernant la femme algérienne, il est nécessaire de distinguer le Droit (légal) tel qu’il est inscrit dans la loi et les droits imposés par la société.
Sur le plan strictement légal, il est dit dans les articles suivants de la constitution :
Art. 34. — Les institutions ont pour finalité d’assurer l’égalité en droits et devoirs de tous les citoyens et citoyennes en supprimant les obstacles qui entravent l’épanouissement de la personne humaine et empêchent la participation effective de tous, à la vie politique, économique, sociale et culturelle.
Art. 35. — L’État œuvre à la promotion des droits politiques de la femme en augmentant ses chances d’accès à la représentation dans les assemblées élues.
Les modalités d’application de cet article sont fixées par une loi organique.
Seul l’article 35 cite explicitement la femme ; il ne devrait en principe pas exister. Pourquoi est-il spécifique aux femmes ? Y aurait-il des droits politiques pour les femmes et d’autres pour les hommes ? Et pourquoi rajouter une loi organique pour cet article ? C’est cet implicite qui me gène parce qu’en désignant « les femmes », cet article suppose que les hommes ont d’autres droits. Autrement, la parité est totale dans la constitution de 2016.
Dans le Code de la famille de 1984, révisé « conformément à l’esprit des droits de l’homme et de la charia » selon le président déchu, les femmes sont normalement concernées par ce principe d’égalité souligné dans la Constitution. Elles ont certes le droit de travailler, de voter, de gérer leur compte en banque etc.
Cependant, malgré les petites réformes de 2005, certains points sont en contradiction (régression) avec les dispositions constitutionnelles, comme par exemple le mariage et sa dissolution, l’héritage, etc. (voir Code de la famille) qui nécessitent encore l’implication de la société pour avoir enfin une égalité de traitement telle que préconisée par la Constitution.
Malgré des avancées certaines, en termes de droits, du travail reste à faire, non par les femmes exclusivement, mais par la société entière, particulièrement dans le domaine de l’éducation et de la conscience citoyenne qui feront progresser les lois. Lorsque j’entends certains (hommes et femmes) contester « la liberté » en l’assimilant à la dépravation, je me pose de sérieuses questions sur le projet de société qu’ils envisagent. Heureusement que des femmes et des hommes sont sur le pied de guerre en prenant des initiatives concrètes pour pallier les manques institutionnels ; ils œuvrent, à travers des initiatives associatives, pour mettre en place des plans d’actions éducatives dans les quartiers. À ces personnes, je dis bravo !
Si l’on se réfère à la société, c’est là que le bât blesse : La femme algérienne est doublement persécutée, le traditionnel d’un côté et le religieux de l’autre. En quoi cette persécution peut-elle se répercuter sur le reste de la société ?
Le droit s’adapte normalement aux exigences de la société ; il évolue en fonction du rythme qu’elle lui impose. C’est elle qui exige les « réparations » qui lui siéent. Si la société entre dans le cycle de la régression en se basant sur des convictions générées par sa propre représentation de la tradition et de la religion, nous savons à quoi nous devons nous attendre. Quand on décèle les alliances entre le pouvoir politique et religieux, on comprend qu’une grosse machine dévastatrice est en marche.
Dans une société soutenue par le patriarcat, maintenu par un bigotisme exacerbé, ce sont les femmes qui paient évidemment le prix. Encore faut-il qu’elles en soient conscientes. Je pense sincèrement que oui, elles le sont. Mais comment faire autrement ? La « soumission » tant décriée est, à mon sens, non pas le reflet d’un « je » foncièrement idiot – celui qui se soumet bêtement à la tutelle masculine, ou celui critiqué par certaines féministes qui estiment devoir penser pour les femmes, autrement dit constituer une autre forme de tutelle –, mais d’un « jeu » implicite et consenti, dès l’instant où la pression sociale ne laisse apparemment pas beaucoup d’alternatives à certaines femmes. Ce qui leur manque pour que le « jeu » cède la place au « je » qui s’assume, c’est d’abord l’éducation qui doit prendre toute sa dimension : apprendre ce qu’est ETRE citoyenne libre ! Et comprendre aussi que le choix religieux n’entre pas en concurrence avec la liberté de pensée et d’être. L’éducation concerne aussi certains hommes qui se sentent menacés par cette monstrueuse et effrayante « liberté » des femmes, pensant peut-être que leur virilité est menacée, cette virilité qui leur donnerait le droit de soumettre, sans imaginer un seul instant que ce que femme veut, elle l’obtient. Je pense sincèrement que les femmes sont fortes, elles trouveront certainement le moyen d’Être en inversant la courbe. Cette journée du 8 mars doit justement servir à la réflexion sur la manière de réduire ce grand écart, entre les hommes et les femmes, qui se matérialise dans cette pression sociale.
Si les femmes ont légalement le droit de travailler, elles sont souvent harcelées au travail et dans les transports ; le harcèlement de rue prend des proportions alarmantes. Ces pratiques démontrent que la société n’est pas prête à leur concéder une place égalitaire parmi les hommes. Lorsqu’elles ne portent pas le voile dans certaines régions ou quartiers, les choses se compliquent davantage, le travail devient pénible.
Ce harcèlement qui prend des proportions alarmantes, comme vous le dites si bien, est pour moi une offensive violente qui dévoile peut-être les derniers retranchements des agresseurs. Leur parole n’est plus entendue ! Ils passent donc à l’attaque ! Un bras de fer que les femmes ne peuvent gagner que si elles ne cèdent pas ! Il faut dire que les rigoristes, en perdant du terrain, se transforment en voyous si l’on en juge par le déferlement de leurs aigreurs devant cette femme qui leur échappe : les femmes en Algérie étudient plus que les hommes (voir les statistiques), elles travaillent et occupent des postes de plus en plus importants et sont de ce point de vue autonomes, elles conduisent, louent ou achètent des appartements… Économiquement, elles sont incontournables. C’est affolant pour les agresseurs ! Ils se sentent castrés. Donc ils mordent. Céder en optant pour l’ascétisme afin d’échapper à ce harcèlement est un leurre pour les deux sexes. Pour les femmes, il faut savoir que si elles cèdent la main, c’est le bras qui ira avec : les exigences ne s’arrêteront pas ! Des témoignages rapportent que même les femmes voilées sont agressées. Pour les hommes aussi c’est un leurre, car encore une fois, ce que la femme veut, elle l’obtient, même à son insu, il n’en saura rien ! Et ce ne sera que justice ! (rire)
Plus sérieusement, le drame est que la société dévoile à travers ces actes insensés un déchirement contre nature consistant à opposer les hommes aux femmes, alors que le 8 mars consiste (à mon sens) à réfléchir sur une égalité citoyenne entre tous. La société a montré pendant le Hirak qu’elle était capable de s’organiser et a bien apprécié la présence des femmes dans les manifestations. Le choix à faire est donc le suivant : vivre dans l’apaisement du respect, ou dans l’hypocrisie qui peut cacher bien des surprises. La société envisagée par les rigoristes est une société perdant-perdant. D’autres voies sont possibles.
Le code civil algérien n’est pas inspiré de la religion musulmane en général, ce qui n’est pas le cas pour le code de la famille. Pourquoi se référer aux préceptes de l’islam dès qu’il est question de la femme?
Tout simplement parce que la femme fait peur ! Vouloir légiférer sur les questions liées aux droits des femmes donne une illusion de pouvoir que les hommes socialement ne peuvent pas forcément acquérir dans ce monde qui évolue très vite. La loi conçue par eux protège leurs privilèges. Maintenant voyons le problème du point de vu du système qui compte bien se maintenir (je rappelle que le système n’est pas un homme en particulier, ni un groupe d’hommes, c’est un principe de fonctionnement du pouvoir, qui déteint d’ailleurs sur la société), il est bien entendu plus aisé d’étendre son hégémonie devant un parterre d’analphabètes (lettrés), ou terrorisés, incapables de le contredire – c’est ce que nous avons fait pendant plusieurs décennies. L’islamisme (et non l’Islam) est un adjuvant redoutable à ce rouleau compresseur. Bien organisé et bien financé et orchestré, il se voit promu comme objecteur de conscience « officiel », au point de mettre en doute, et parfois en prison, les récalcitrants ou même des chercheurs dans le domaine qui osent élever le débat. Dans notre société, il est devenu plus prudent de parler de Roqia. Et là, inévitablement, nous revenons à l’éducation qui est au centre de tous ces débats de société : L’Éducation est le nerf de la guerre qui ne sera jamais concédée aux réformateurs démocrates (d’ailleurs où sont-ils ?), ni la télévision abrutissante : « La télévision, c’est l’état qui s’incruste dans les maisons » (L’agonisant, p.54) pour modeler, façonner l’esprit régressif.
Pour revenir à votre question, la société ne se soulève pas contre les dépassements de ce Code de la famille parce qu’elle ne les voit pas vraiment, ou parce qu’elle estime que d’autres chantiers sont plus importants ! Même lors du Hirak, « El moubarek » a-t-on dit, les carrés de femmes ont été perturbés par les tenants du cagotisme qui ne supportent pas de voir les femmes revendiquer quoi que ce soit. Ce « code de l’infamie » assure la paix sociale voulue pas des hommes qui craignent pour leur statut. Il ne changera pas fondamentalement tant que les hommes se sentiront menacés et tant que les femmes acceptent de jouer ce « jeu » du « je » pour préserver une tranquillité factice.