8 Août 2023
ÉLÉAZAR ENFANT DE PARIS
Mohammed, l’enfant de Marie, est né à Aubervilliers. Son père Moïse était chiffonnier rue du Sentier à Paris. J’ai connu mon ami sur le carreau des Halles où il travaillait comme porteur. Il m’avait pris avec lui un jour où je renaudais avec ma faim. J’étais un petit gavroche avec des trous plein les poches. Pour manger j’ai pu trimer au lieu de voler. Je quêtais un salaire pour ma pitance et le prix d’un lit chez un marchand de sommeil.
La mère de Mohammed était gentille, elle m’appelait par mon nom et disait que j’étais son « petit parigot ». Marie, la belle Marie, je me disais, amoureux je m’imaginais. Elle était câline et son fils était fier d’être aimé par elle. Le père Moïse était brave, il avait toujours dans ses poches quelque friandise pour nous régaler.
Cette famille d’accueil logeait dans une petite pièce sous un toit de la rue du Sentier. Moi, je créchais dans un hôtel borgne et pis des fois je dormais sur des cageots pour économiser. La vie était belle. Paris grand et j’étais môme prétendant au nom d’Éléazar. Des habitants m’avaient ramassé sur le carreau, enveloppé dans un maillot où une main habile avait brodé un nom, celui qu’on m’a collé.
Éléazar, c’est moi. Ailé, le hasard ! Le hasard ailé. Le hasard s’en était mêlé ! Je n’ai eu qu’à tirer sur le fil, et ma vie a défilé comme celle d’un piaf dans le ciel gris des jours qui semblent éternels quand on oublie de compter le temps au cadran des horloges. Oiseau, j’étais venu pour chanter, et je n’ai privé presque personne de mes dons d’aimer pour aimer.
Et j’ai chanté tout mon saoul et la joie fut mon ivresse.
Mohammed mon copain m’a évité de faire des conneries dont j’étais tenté à force de serrer les dents sur mon ventre cousu par la famine et ma tête cabossée par les taloches de l’abandon. C’est dur de voir les autres manger quand on a faim. C’est trop dur de ne pas s’aimer. Et Mohammed m’a appris à ne pas perdre estime de moi-même. Il faut bien s’aimer pour ne pas se perdre en chemin.
La faim est mauvaise conseillère. Le beau travail donne le bon goût au pain. Voilà comment j’ai affranchi l’orphelin de mon cœur. J’aurai travaillé pour vivre et j’aurai vécu pour donner. Ma chanson cousue sur mesure s’offre en quatrains comme les poèmes du jour avec le pain du matin. Je porte mon bonheur à la santé des bohémiens. La bohème des miens aura été de toutes les charrettes des gens biens.
Je n’aurai rien pu laisser à ceux qui ont de la haine à lever la main.
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Pierre Marcel Montmory trouveur