LA DERNIÈRE FRONTIÈRE
Le monde doit s’ouvrir sur lui-même, ouvrir ses frontières et devenir terre de migrations.
Il suffit d’ouvrir les yeux et de regarder autour de soi, pour observer ces formes de sociabilité dans les lieux où se réinvente constamment le lien social et politique. Dans les quartiers de la Terre, les individus créent des espaces de sens, de créativité, de valeurs… Dans tous les lieux où le collectif se reflète et produit un discours sur lui-même.
Tous ces lieux de production d’un discours social et politique ne sont pas repérés ou canonisés comme tels. Ils ne relèvent pas d’institutions reconnues comme l’université, les lieux de littérature ou de politique, mais n’en sont pas moins des sources de production organique d’un discours sur soi inscrit dans le temps – qui rejoint d’ailleurs la civilisation de l’oralité.
Pour penser la Terre autrement, évoquons une rupture radicale dans nos postures, nos paradigmes, nos façons de nous lire à travers les yeux de l’autre. Mais le radicalement neuf ne se fait qu’avec des matériaux existants. Une telle transformation ne pourra pas faire table rase du passé. L’aventure est ambiguë et les gens sont censés représenter les tensions culturelles.
Les gens sont pris en tenaille entre deux aliénations, avec un pied chez eux et un pied ailleurs, sans savoir où est leur tête. Cette situation est assez symptomatique d’une forme de schizophrénie que nous vivons.
Aucun futur n’est envisageable si les gens ne pensent pas par eux-mêmes et pour eux-mêmes leur présent et leur devenir. La liberté doit être une passion désormais, parce que le peuple en a été privé trop souvent avec le progrès et les colonisations. On ne peut pas continuer d’être à la remorque des rêves des autres.
Rappelez-vous à vous d’abord et, à tous les autres ensuite, votre souci et le souci du monde.
Dans la difficulté les individus et les communautés se dépassent pour donner le meilleur.
Pas facile de restituer toute la chaleur humaine et conviviale liée à un tel événement, tous les éclats de rire, les étreintes, les joutes, les blagues, les apartés, les bises, les cortèges, les repas collectifs, les pas de danse, les photos de groupe ou les selfies.
Après de telles retrouvailles, difficile de se quitter et le dialogue se prolonge jusqu’au bout de la nuit.
La question planétaire sur le plan philosophique et esthétique ne sont rien d’autre que l’événement du XXIe siècle.
Pendant ces quelques heures, vous aurez le privilège de saisir la respiration de votre ville, en nocturne, au milieu de sons urbains et familiers, et de me mettre à l’écoute de cette force presque tellurique qu’est une métropole. Cette affaire de respiration est d’une importance capitale, car elle nous fait toucher du doigt ce qui menace de nous étouffer ici et ailleurs, au propre comme au figuré.
Le souci de notre pays et du monde va de pair avec le souci de soi, l’attention portée sur nos infrastructures psychiques et physiques. Pas seulement à la tête, mais également au cœur, au corps tout entier. Réfléchir, agir individuellement ou collectivement, poser un geste artistique, tout cela est aussi une affaire de respiration. Parce que la respiration est le signe d’un corps vivant, il s’agit pour chacun d’entre nous d’aller chercher au fond de soi l’oxygène nécessaire pour faire éclore les émotions et pensées, les concepts, les pratiques et les mouvements qui demain changeront la face et l’allure du monde. Penser, écrire, respirer, tel est le but de la pensée !
Souvenez-vous que vous êtes des citoyens du monde, et travaillez à le quitter meilleur que vous ne l’aurez trouvé.
Être citoyen du monde, c’est s’autoriser à être d’ici et d’ailleurs pleinement, à hériter de l’humanité entière et contribuer à l’enrichir de là où nous sommes. C’est concilier le singulier et l’universel, le différent et l’en-commun, c’est refuser les assignations identitaires.
La conversation comme manière de vivre, tout ce qui fait la richesse de la conversation, là où se joue le lien à soi-même et à autrui et où se noue la relation, nous fait tenir l’un à l’autre par la parole.
Comme une traversée, une attitude face au réel, l’envie d’y déceler le multiple et le divers, de percevoir le potentiel et le non-encore-exprimé, de démêler le confus et le non-dit afin de permettre au possible d’éclore. Et de laisser place aux utopies émancipatrices.
L’idée est de contribuer à recréer une communauté intellectuelle afin de faire éclore un penser-ensemble, dans sa diversité et ses tensions, autour des questions qui nous concernent et nous semblent urgentes.
Dans ce monde qui est censé être le nôtre à tous, certains nous demandent encore ce que nous apportons. Il importe donc de mettre en évidence que d’une partie spécifique du monde, de géographies particulières, de visages singuliers de l’expérience humaine, des femmes et des hommes ont apporté des choses importantes pour eux-mêmes et pour les autres.
Être, c’est lier en toute conscience son sort à celui des autres et aller à la rencontre du monde. Nous laisser habiter par cette question, apprendre à vivre avec elle dans son irrésolution si nous voulons être heureux.
Mais pour être cohérent, cela suppose que l’on puisse circuler, s’établir dans un pays comme dans un autre et qu’on ait le sentiment que, dans ces espaces-là, nous sommes les bienvenus.
La démocratie et l’élection n’apparaissent pas comme un critère central. On sait très bien que l’élection ne garantit pas l’expression de la volonté du plus grand nombre. Sans compter qu’elle est devenue une technologie que l’on peut capturer, biaiser et manipuler, la transformant alors en outil antidémocratique.
Quel avenir proposera-t-on à la nouvelle génération ? Que voulons-nous lui transmettre ? Quel type de citoyenneté allons-nous construire avec elle ? Si nous ne relevons pas ce défi, nous aurons des hordes de fanatiques et d’autres mouvements nihilistes.
La défaillance des gouvernances accable sérieusement l’espoir.
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