16 Avril 2017
Mon cher Félix,
Ça fait un bout de temps que t’es parti Félix.
Dans ton dos ils se sont endormis après une révolution trop tranquille. Ils ont rêvé d’un pays qui n’a jamais vu le jour parce que replié sur leur nombril ils n’ont pas su se faire des amis entre le premier indien venu ici et le dernier émigrant arrivé ce matin.
Leurs femmes sont sorties de la paroisse pour courir au grand magasin. Leur curé ne vend plus de l’espérance mais leur banquier refourgue le bonheur à crédit. Le ciel est plein de promesses quand le trottoir est garanti. Les drogues légales et les perversions sont électoralistes. Leurs petites filles naissent victimes et leurs petits gars bourreaux. La police enseigne dans leurs écoles où les psychologues établissent la programmation des cervelles. La populace est analphabète à 80%. Les bibliothèques sont vides et les stades sont pleins. Ils n’ont jamais réussi à parler le français aussi bien que toi. Ils baragouinent dans leur patois leur misère textuelle.
Les libéraux se partagent les tâches domestiques avec les socialos. La démocratie offre la liberté, l’égalité et même la fraternité avec modération.
La violence est légale mais l’amour est toujours interdit. L’armée est toujours vénérée avec des sentiments religieux. Pour un petit pain et beaucoup de bébelles ils s’en vont chaque matin transformer la planète en poubelle. Peuple de quêteux, tous clochards heureux.
Les poètes se suicident à la naissance avant d’avoir écrit leur premier vers. Tandis que des faux artistes font la publicité de l’abrutissement généralisé et que les agents culturels règlent la circulation des produits du culte de la consommation.
Les nécrologues fouillent les tombes, les spécialistes font la louange des vedettes cotées en bourses, les médias présentent l’art caca des élites qui par milliers salissent la cité de leurs déjections intellectuelles.
Leurs professeurs d’art ont parlé de tes poèmes à la radio, ils ont dit que tu étais « dépassé » et que le problème avec toi c’est que dans tes poèmes « il y a trop d’images ». J’ai voulu leur dire que c’était eux qui étaient passés à côté de toi et que ton talent consistait justement en ton génie pour composer des images. Mais ils m’ont fermé la porte au nez en me rabrouant ils ont beuglé :
« Bienvenue et au-revoir ! ».
Voilà Félix les dernières nouvelles de ce quartier de la Terre que tu aimais tant et qui est devenu le triste et sale Kébékistan. Mais ne t’inquiètes pas trop pour moi et pour nos amis, notre joie est toujours là et les empêche de tourner en rond et tu sais bien que lorsqu’ils auront épuisé toute leur force et brûlé toute leur lumière, nous, Félix, nous vivrons !
Pierre Marcel
J'ai lu tous les livres de Félix Leclerc dont certains plusieurs fois. "Le fou de l'île" est un chef-d’œuvre. Mes élèves ont joué des scènes de son théâtre... Les carnets du lièvre sont à lire en solitaire... et puis j'écoute ses chansons depuis toujours.
Félix Leclerc, chansonnier. (1914-1988)