7 Avril 2017
HUMAINE DESTINÉE
Nous serons plus nombreux que les roses sauvages
Chargées d’épines durcies au feu des étés
Nous serons l’aubépine surprenant les bergers
Tandis que le noir du ciel entasse les orages
Nous serons plus nombreux que les nuages
Poussés par les vents qui transportent nos messages
Nous chanterons dans nos têtes aux murs du silence
Les litanies muettes qui ont mérité les potences
Nous serons gorge sèche dans les sillons du sable
Pour semer graines de colère et larmes de sang
Et nos jeunesses en lambeaux se traînant
Balanceront leurs rires rouillés à l’ineffable
Terre rendue à l’acier plombant les murs
Nous ne pouvons plus même un murmure
Et la force des lâches nous oppresse
Nous n’avons que la vie pour seule maîtresse
Alors en un bouquet fraternel nous nous offrons
Pour vaincre l’injuste sort fait à Cupidon
Pour réparer l’offense à la beauté de Ninon
Nous marchons solitaires sous le même nom
Nous sommes la somme de nos chemins humains
Plus nombreux que les roses et autant que les fleurs
À veiller pour le lendemain, vaillants de cœur,
À battre le blé des récoltes de nos deux mains
Nous serons plus nombreux que les roses sauvages
Chargées d’épines durcies au feu des étés
Nous serons l’aubépine surprenant les bergers
Tandis que le noir du ciel entasse les orages
JOUR SAIN
Les ruines de l'oppression dans lesquelles
Les anges s'incarnent en humains presque des îles
Sur la terre entre les pierres et les sources d’eau
Qui inspirent à nouveau le vent libre et l’oiseau
Pour que les enfants jouent à la destinée
Comme sous la voûte du ciel les étoiles d’argile
Pétries dans les mains qui mangent le pain du jour
Quand les nuits enchantent telles les muses d’un
poète
Qui avec ses fidèles compagnons partage sa quête
Et le Soleil jamais ne s’éteint ni la faim
De connaître l’autre amante sous la Lune
Sans témoin que le refrain pénible des hunes
Quand les navires virent sur des terres d’écueils
Et que les marins brisent leur quille sur les quais
Et que les filles à l’abandon les délivrent
De leurs secrets pardons déchirants leur cœur
Comme sur les lèvres bues d’une douceur
Que les mères les rappellent au grand soir
Des pères partis sur le front des bâtisses
Les ruines de l’oppression dans lesquelles
Les visages pieux couverts de cendres
Lavent à l’eau pure les souillures bénies
Et que le vent libre continue ses chemins
Jusqu’au dernier souffle des humains
Rassasié de sort commun et de chance
D’échapper aux sermons et à la potence
SONNENT LES MATINS
Cheval noir pétri de l’argile de la nuit
Vagabonde dans les prairies qui abondent
Dans ce beau paradis sans propriétaire
Quand le temps gris n’entasse pas les pierres
Et que l’écume blanche de sa crinière
Vole à la crête des vagues de la mer
Un peu de sel pour pimenter sa danse
Quand il entend le galop de son aimée
Ses sabots rebondissent en pas feutrés
Dans les fleurs tendres du printemps amoureux
Réveille ma mémoire assoupie dans les ruines
Où je lézarde au Soleil, le jour trop blanc
Pour dresser la bête, sauvage comme moi,
Paresseux s’abreuvant à l’ombre des feuillages
Et grignotant tous les fruits mûrs évanescents
Ce cheval va où il va, je vis si je peux
Sans galop rapide mais cheveux libres au vent
J’épouse la bonne fille de vie en marchant
Les muses jalouses marchent devant riant
Je lâche ma pomme croque dans leurs chairs
Elles me mordent la bouche je les laisse faire
Je pense au cheval et mon cœur galope
Cheval noir pétrit de l’argile de la nuit
Vagabonde dans les prairies qui abondent
Dans ce beau paradis sans propriétaire
Quand le temps gris n’entasse pas les pierres
INCONSOLABLE RAISON
Sur cette pierre je bâtirai une cabane
Pour les amis que je n’ai pas mérités
Comme mes ennemis qui me poussent sur les routes
Et que je dois convoyer pour chasser le doute
De leurs têtes ensorcelées par la haine facile
Je trahis les miens et promets à mes ennemis
Pour un peu de pain et de paix pour une nuit
Cette arche de bois gravée de mots par le feu
De la joie mystérieuse mise en déroute
Par les gestes fautifs d’idiots reconnaissants
Les maîtres des forges ont frappé sur l’enclume
Le rythme lancinant des miracles et des infortunes
Et le fer a battu la pierre injuste lancée au hasard
Pour prier des fantômes aux yeux effrayants
Qui font plier les genoux aux cœurs défaillants
La pierre a fait le chemin jusqu’à la cible
Et Goliath s’est écroulé comme une ruine
La maison du berger s’est dressée en croix
Les suppliciés ont réclamé de l’eau
Les soldats ont rejoint leurs mères
J’ai frotté mes mains avec de la terre
Au pied du grand mur jusqu’au ciel
Mes larmes étaient la rosée du matin
Quand l’ombre profonde quittait le désert
Et que les pierres roulaient leur sable
Mon sang rougissait comme le Levant
Les mouettes indolores ne saluaient plus l’Orient
Parce que je déchirais les restes de mes haillons
Sur cette pierre où je bâtirai une cabane
Pour les amis que je n’ai pas mérités
DERNIÈRE SOLITUDE
Dernière solitude sans qu’il soit possible
De lui donner un nom à elle étranger
Un nom qui soit un catégorique néant
Face à face avec le nouveau monde renié
Une blessure ouverte dans le cœur naïf
D’un ancien natif des dernières dates héroïques
Du troupeau humain migrateur hasardeux
Entre les miradors fuyant les chiens polices
Civils délateurs des intelligences fines
Pour muscler le bras des malins virtuoses
Et les performeurs travailleurs zélés
Des machines à broyer les marges inutiles
Au bénéfice des avares de la parole
Uniques mouvements de troupe armée
Des meutes de la terreur nette assassine
Pendant les guerres intestines coliques
L’expulsion des manques à gagner
De la plus-value des intelligences vides
Pour accumuler le sang des lingots pleins
Dans les poches des actionnaires avides
Du vide de l’atmosphère des soumis affamés
De chairs putrides de la misère organisée
Des fonctionnaires corrompus serviles bien notés
Par les patrons modèles à copier-coller
Pour des morts conformes à la réalité
Au viol de l’entendement à la rapine
Virile société ouverte sur Auschwitz
Le poteau des fusillés porte le drapeau
DÉRIVE ININTERROMPUE
Il arrache sa langue pour ne plus se taire
Dans les hauts fonds des cités de la Terre
Il enferme sa voix aux confins du silence
Pour sentir monter en lui le sang du sens
Il ruse avec ses muses espiègles
Gueuses affriolantes déjouant les règles
Le monde emmuré devenu muet s’éloigne
Et s’éteignent les bruits des foires d’empoigne
Il noue les liens de l’oubli autour des vices
Pour un génie de sable il n’est que novice
Et il jette loin son boulet dans les bas-fonds
Les remous de la foule l’inspireront
Le jour du départ chaque heure est fatidique
Pour éloigner sa barque de la rive maudite
Combien de jours avant une terre d’écueil
Pour composer en solitaire son chant d’accueil
Que les muses accompagneront de leurs douces voix
Ce marin de l’Univers cabotant sans lois
Parle le cœur à la bouche une langue neuve
Exilé de la Corne d’Or à Terre-Neuve
SORTI DE LA MER
Sorti de la mer il échoue sur le gravier
D’une terre où son écueil se disperse
En morceaux de son être comme des îles sœurs
Il se ramasse comme le reflux contre les rochers
Comme le flux pour marcher le monde en
chantier
Quand le pied des humains façonne rêve
Et chemins ouverts sur l’aventure des esprits
Sorti de la mer tel le magicien surpris
Par l’invention qui lui survivra au glaive
Des miettes de pains dispersées dans le vivier
À d’improbables mouettes de s’approcher
Pour un vol reconnaissant le piège de la peur
De retourner dans le néant des averses
Tandis qu’il culbute sur des masques entiers
Les roches muettes bavardent sous les traits
Du ciseau expressif d’un poète discret
Qui a taillé les portraits de forts caractères
Dont les épopées sont rendues à la terre
Ou bien leur histoire s’ingénie dans les
parages
Tandis qu’il essaie d’en déchiffrer les adages
Le vent l’enveloppe comme un habit de soie
Et le bruit des vagues vous ramène à soi
La musique du présent éternel dans le chœur
De l’horizon s’approche comme un acteur
Et joue sur une scène le sable coulant des mains
La sérénade des nuits jusqu’à l’adieu des
matins
Aux amants perdus les jours brûlants leur
fièvre
À l’ombre de l’encre versée des poèmes
d’orfèvres
Sorti de la pierre le masque défie le temps
Malgré ses entailles il se moque des vents
Et toutes les eaux et la terre sur sa tête
Ne pourront ignorer l’arrogance muette
De ces solides soldats paisibles insurgés
Qui ne connaissent que les vents et les marées
Les étoiles les suivent comme des filles
charmées
Et le capitaine poète leur chante des mélopées
Seuls, les solitaires écueils s’écartent
Pour leur délivrer bon chemin pour leur
barque
Tandis que les dieux en colère frappent le vide
Le ciel laisse gueuler le tonnerre stupide
Après quoi la pluie après elle le beau temps
Les marins gagnent la quille les filles vont
chantant
ÉCHOUAGE
Qui chante la paix, la muse musicienne,
Aborde les rives sur les ailes du vent
Et ceux qui attendent toujours qu’on vienne
Happent dans leur filet la lumière des passants
Et envoient à ces musiciens quelques saluts
Lumières captées par des sirènes curieuses
Qui voient venir à elles des mondes inconnus
Des esquifs branlants ou des proues sérieuses
Frôlent leurs côtes sensibles au courant
Et débarquent avec leur viatique encombrant
Les muses aimables les guident quand même
D’affreux génies les traquent comme des
baleines
Alors ils déboulent sur les quais de partout
Les caboulots les invitent à boire avec tous
Des liqueurs fortes qui calment même les fous
Quand les délateurs courent à leurs trousses
Papiers tampons profilent des ombres
suspectes
Sitôt qu’un quidam zélé les inspecte
Ils tremblent un peu sur leurs jambes maigres
Ces innocents qui ne sont pas de la pègre
Mais qui de leurs galères ont gardé mauvais air
Parce que les flots sont trop lâches et amers
ÉCHOUEMENT
Première heure de la nuit il tourne lui-même
Dans les ressacs du sol cherchant le fond du lit
De l’océan il remonte à la surface sèche
Se cramponnant aux nœuds de la dèche
Il espère la corde solide, un répit
Pour somnoler entre deux heures blêmes
Pour ses rêves cruels qui le malmènent
Les cris voyous le taraudent sans merci
Comme si les incendies allumaient les mèches
Les rancunes sucrées que les flammes lèchent
La peau du supplicié déchirée sans délit
La voix des ordres ordonne qu’on l’emmène
Le voici haletant dans la cage barbelée
D’ombres rugueuses et d’haleines puantes
Roulant dans la boue des miradors
Les foules de ceux-là qui n’ont pour tort
Que d’avoir le regard et l’allure fuyante
Échappés des murs et jamais rappelés
La deuxième heure supplice des damnées
Quand le poing ganté relève son masque
Ses yeux blanchis éclairent la peur du maton
Qui prend son élan pour appliquer la question
Et qui pour réponse laisse tomber le corps
flasque
D’un coup de crayon raye l’âme mal née
Il est de tous les sortilèges contre tous
Qui laissent courir le vent des rues policées
Par le doux sommeil des justes consciences
Dans la conformité des forts en sciences
Qui ajustent leurs regards au front plissé
Des palais vieillissants par les rudes frousses
De tous les convois des sans noms et n’avoir pas
Échoués et non promis aux langues de bois
Qui renaissent de leurs cendres comme le feu
Qui couve sa revanche sous les graves ruines
Marmonne des prières de pierres chagrines
Les jours reviennent et chassent les ténébreux
L’AUBE
Tiré de son cauchemar par les rires d’enfants
gâtés
Le vie se moque des boniments, donne son
présent
Comme un cadeau il reçoit l’invite à la
promenade
Et alors il s’aperçoit qu’il marche dans la clarté
Et que son cœur tremble d’un doux sentiment
Il se prend à fredonner au vent une aubade
Des moineaux endimanchés piaffent en fête
Il s’assoit sur un banc comme la beauté
innocente
Son corps déguenillé offre son visage
Les passants étonnés reconnaissent le sage
Qui ne fait rien de toutes les heures toquantes
Et qui donne aux oiseaux le pain de sa quête
Après le juste matin et l’heure du turbin
L’homme du banc se lève, secoue son chapeau
Il emprunte le boulevard pour le remonter
À l’heure de l’apéro il rejoint ses poteaux
Qui font à cheval le paris des paris urbains
Il s’approche d’eux et continue à raconter
Ce que dit cet homme il faut le suivre en
marche
Car il n’est pas omnibus et saute des points
Il s’arrête pour toiser de près son prochain
Il voit les yeux devine le cœur avise l’arche
Et si le sbire lui plaît et lui cause s’il vous plaît
Monsieur voyez-vous le monde est en marche
MIDI
Ah, midi, c’est l’heure des titis qui vont becter
Pendant la pause des employés il va quêtant
Leur offrir des bonjours et tout son boniment
En ouvrant les portes et saluant du chapeau
Ces belles dames ses beaux messieurs en
paletot
Cèdent la dime du dépit la lèvre humectée
Quand c’est l’heure la fourmilière repart
Dans l’autre sens finir la journée à l’envers
De l’endroit où l’homme sage n’est guère
Que pour s’absenter dans des rêveries de
départ
Et quand tout le monde du travail est en congé
Il est seul à arpenter le pavé, oyez !
SOIR
Le soir est un autre jour avec d’autres soleils
Car la nuit les êtres ne sont pas pareils
Ils promènent leurs ombres comme le feu follet
Des néons stridents et des phares perdus
Ils montent des manèges avec des farfadets
Et espèrent trouver là la vérité toute nue
Sage qui fait sa manche pour coudre son festin
Car avant l’aube on le pourchasse dehors
Et le café crème et les croissants valent de l’or
Et comme il ne veut se priver de rien
Il joue la comédie aux portes des châteaux
Et parfois il finit sa chanson au violon
NUIT
Son salut il le doit à quelques âmes charitables
Qui trouvent sa déconvenue pardonnable
Et de port en port, sur la corde raide,
Il sommeille comme un juste qui plaide
Au tribunal des étoiles les jurés sont des
cloches
Qui sonnent la charge aux pions des bastoches
Pierre Marcel Montmory – trouveur
sculpture de Humberto Abad