6 Janvier 2020
LE VEILLEUR DE NUIT
La braise du jour ronfle sous la cendre. Le veilleur de nuit, scrute les ténèbres encombrées. Les froissements du vent contre son corps le poussent à marcher. Il fait quelques pas sur la ligne de crête. Il s’arrête au point où l’air s’immobilise pour laisser passer la rumeur profonde du bourdon de veille.
La nuit n’est pas faite pour dormir. Le veilleur bat son briquet.
Dans un cric de pierre sèche jaillit une flamme éphémère. Il aspire une longue bouffée et souffle doucement la fumée invisible qui lui pique les yeux et le nez. Un frisson le fait trembler. Il avance à petits pas, sur le sol inconstant comme l’eau.
Il craint de trébucher. Le ciel n’a pas allumé ses lanternes. L’obscurité épaissie et l’air inerte, l’oppressent. Il tire sur la braise de sa cigarette comme pour se dégager de l’emprise. Un cri pointu aiguise sa lame de faux contre les atomes de la nuit. L’homme dirige ses pensées vers ses compagnons qui dorment.
Le veilleur de nuit passe entre les corps flottants en plein sommeil sur le sol. Il s’assoie près du feu couvant et jette une poignée de bois que la flamme dévore en léchant. Des étincelles d’étoiles crépitent et claquent leurs petits fouets. Le veilleur roule sa cigarette. La relève viendra au petit du jour.
Au grand de la nuit, ses pensées vont et viennent, d’amont en aval, suivant les ondulations du pays noirci. Un pays comme après un incendie. C’est la nuit. La nuit occupée par les pensées de la veille. La nuit barricadée sur la rue du jour. Ses compagnons dorment les poings serrés.
Quant à lui il tient ses mains au-dessus du feu et regarde les flammes à travers ses doigts. Ça fait combien de nuits qu’il veille ? Combien d’années à ne pas dormir parce qu’il faut bien quelqu’un pour garder la trêve. Avant le jour hostile, la lutte pour vivre en pleine lumière, avec les morts de l’aube et les morts du crépuscule.
Son nom, un nom millénaire. Alors, depuis tout ce temps, veille-t-il ou bien est-il somnambule ? Et, s’il dort toutes ses journées, on peut dire qu’il ne vit que les nuits. Nuit après nuit, entre ses doigts, le feu des hommes est un rayon de soleil resté allumé. Le veilleur de nuit boit son café avec un croissant de lune.
Pierre Marcel Montmory trouveur