31 Juillet 2025
LA GUITARE BRISÉE
Conte moderne
Dans une ville du Québec, nichée entre les rives verdoyantes et le grand fleuve chantant, vivait un jeune homme nommé Ramesh, Ramesh était un musicien de talent. Il jouait de la guitare avec une passion telle que même les anciens québécois disaient n’avoir jamais vu un tel feu dans les mains d’un jeune.
Mais dans cette ville, on avait une étrange habitude : on ne célébrait les gens qu’après leur mort.
Lorsque Ramesh jouait, les gens l’écoutaient sans vraiment l’entendre. Ils applaudissaient à peine, ils ne le regardaient même pas dans les yeux. "Il est encore vivant, il a le temps", disaient-ils. Ils préféraient célébrer les ancêtres, les morts illustres, accrocher leurs portraits, raconter leurs histoires… mais ignoraient ceux qui étaient encore debout.
Un jour, Ramesh, blessé dans son âme, alla voir son grand-père, le vieux Valentin, un sage respecté, aveugle mais clairvoyant.
— Grand-père, pourquoi les gens ne voient jamais la valeur d’une étoile tant qu’elle brille encore ?
Le vieux Valentin sourit.
— Parce que les vivants ne savent pas s’aimer entre eux. Ils attendent la tombe pour dire "il était grand". Ils enterrent les trésors dans la poussière, alors qu’ils les avaient entre les mains.
Ramesh, frustré mais déterminé, partit de la ville. Il parcourut d’autres villes et d’autres forêts, joua dans les marchés, chanta dans les rues, offrit sa musique sans rien attendre. Et peu à peu, sa lumière atteignit les cœurs. Des étrangers dansaient à ses rythmes, des enfants reprenaient ses chants. Son nom voyagea loin, au-delà des plaines et des montagnes.
Mais un matin, la nouvelle tomba : Ramesh était mort, emporté par une maladie soudaine.
Alors, la ville qui l’avait vu naître se réveilla.
Ils accrochèrent ses photos partout. On grava son nom dans la pierre. On organisa des cérémonies, on pleura, on raconta comment Ramesh était un génie. On fit même une statue de lui sur la place centrale.
Mais le vieux Valentin, assis dans son fauteuil, dit à tous ceux qui venaient se lamenter :
— Pourquoi n’avez-vous pas frappé des mains quand il jouait vivant ? Pourquoi n’avez-vous pas dit "merci" quand il offrait son art ? Vous l’avez laissé partir sans le poids de votre reconnaissance. Ce n’est pas Ramesh que vous célébrez maintenant, c’est votre honte.
Un silence tomba sur la ville. Puis Valentin ajouta :
— Aimez les vivants. Honorez les talents pendant qu’ils respirent. Dites "je t’aime" maintenant. C’est la seule façon de sauver ce monde de la froideur des regrets.
Depuis ce jour, une nouvelle tradition naquit : chaque mois, la ville organise une Fête des Vivants, où chaque artiste, artisan, sage ou simple cœur généreux reçoit des fleurs, des chants, des louanges — de son vivant.
Et sur la statue de Ramesh, on a gravé cette phrase :
"Ceux qu’on aime après leur mort, on les a trop souvent trahis pendant leur vie."
Morale :
Apprends à célébrer les vivants, à honorer ceux qui t’inspirent pendant qu’ils peuvent encore t’entendre. L’amour posthume est une fleur sur une tombe : elle sent bon, mais elle arrive trop tard.
Pierre Marcel Montmory
(D’après un conte africain)