13 Décembre 2020
… Petit cours d’art de vivre
… Avant-hier, nous, les artistes, nous vivions tous dehors, et nous exercions notre art au milieu du peuple, et parfois dans quelques maisons, lorsque nous étions invités, et même dans des châteaux où l’humeur de nos hôtes étaient à ménager avec la même adresse que sur la place publique où les argousins officiaient. Et des interdits étaient édictés qu’il fallait respecter sous peine de réprimande plus ou moins pénible. Fallait la fermer sur tel ou tel sujet, s’abstenir de prononcer des noms, ou éviter de faire certains gestes jugés obscènes, ou de prendre quelques attitudes grossières - tandis que le vulgaire autorisait le bourgeois à user de sa rapière pour cacher les corps et masquer les visages des farceurs. Nous étions faits à l’usage du cache-cache avec les fonctionnaires de la répression qui veillaient à l’idéal en cours à la bourse des Avares. Si nous devions nous taire, nous usions de grimaces et mimions nos chansons; si la chanson de geste était proscrite, nous nous cachions derrière le décor et nos marionnettes nous remplaçaient pour faire la nique à la censure…
… Hier, un bourgeois déguisé en monsieur tout le monde, qui se grisait de l’ambiance popularde d’un marché, entendit soudain des cris, des aboiements, des rires; venant d’un endroit de la foule, et, surpris par cette nouveauté, il ordonna à ses valets de faire passage au milieu des gens qui se pressaient vers l’endroit d’où émanait un curieux désordre. Ce bourgeois propret et à l’air bonhomme, se trouva arrêté au bord de la foule en cercle autour de deux gueux, un mâle et une femelle, qui se vautraient et s’agitaient dans la poussière en poussant des grognements. Bien étrange spectacle de deux sauvages - mais, le plus extraordinaire était l’accessoire posé sur le sol et qui faisait tinter le bruit luisant des pièces de monnaie qu’y jetait la foule amusée. À la vue des espèces sonnantes et trébuchantes, le bourgeois se pâmait. Les gueux s’emportaient. Le monsieur ordonna que l’on bâtit quatre murs sur le cercle de cette foule, il y fit creuser une porte et fit écrire au-dessus : « Entrée 1 franc ». Puis, de ville en ville, le roi l’apprenant, tous les baltringues du royaume se mirent à rêver de jouer un jour à la cour…
… Hier des familles de saltimbanques – qui du saut sur un banc apprirent la déclamation, inventèrent des machines à opérations qu’ils appelèrent théâtres en souvenir des armées emportant les patrimoines et, ces machineries de théâtres furent construites par des menuisiers de la marine et des travailleurs habitués à tous les vents – tous les vents portant toutes les langues, et alors, sur les boulevards, les comédiens du grand théâtre de la vie exerçaient leur art devant tout le monde esbaudi.
… Aujourd’hui, il n’y a plus que l’Argent qui parle et les prétendants à l’art ont oublié tout le monde, c’est-à-dire le public qui allait sur les places, ouvrait sa fenêtre pour écouter les goualeurs. Les poètes se sont claquemurés dans leurs salons et du fond de leur sofa imaginent en creux ce que serait la vie sans eux près des idoles et des dieux de pacotilles vendus pour des broquilles au marché des esbroufes. Et le public diversifié pour être divisé en clientèles tend aux faux artistes des brassées de foin pour remplir leur écuelle de suffisances. Les argousins se nomment agents culturels pour faire valser la ritournelle des réglementations. Les vrais poètes nés se suicident dès leur premier vers mais, méfiez-vous encore, ils sont magiciens du verbe et croque-fontaine. Les poètes ne bavardent pas et n’ont point de projet et ils ont toujours raison : car ils fabriquent ce qu’ils doivent et offrent leur génie aux muses qui jamais ne dorment, ni l’amour jamais mort.
Pierre Marcel MONTMORY trouveur
ON VIT COMME ON PEUT
On vit comme on peut, on vit notre misère
On n'aura jamais le temps de tout comprendre
Et l'on s'en ira avec notre mystère
Dans la vie c’est bon d’apprendre à tout prendre
Pis l’on fera tout avec ce qu’on ramasse
Des brins de pluie des chagrins des miettes de pain
Des fleurs avec des mots une joie avec rien
Pauvreté a ses richesses qu’on entasse
Pis au jour dit à l’heure grave on dira oui
J’accepte mon renvoi c’est mon tour de savoir
D’où que je viens pour faire une bon’ histoire
Et mes amis me verront partir l’air surpris
Et c’est où qu’on s’en va quand on a plus de nom
Dans le cœur d’mes amis j’serai au paradis
On parlera de moi à l’imparfait : « C’tait lui !
« Parfois injuste mais souvent il était bon ».
Oh, je regrette mon arrivée dans cett’ boue
Je suis tombé des grandes eaux de ma mère
Et mon père me releva me mit debout
Mes yeux frais ouverts contemplaient le mystère
J’ai bu le lait des jours et des nuits l’alcool
Poète j’étais savant sachant mon très peu
Suffisant pour errer autour de l’école
Me méfiant des ordres et des appels au feu
Je survivrai à ma mort tant j’aurai vécu
Donnant mon poème à la science innée
Des amis avec qui je parle à voix nue
Sans contrat je tiens parole à l’amitié
Bel ouvrage ou je préfère ne rien faire
La terre et l’eau contiennent mes beaux reflets
Et le Soleil et les vents seront mes seuls regrets
La mort n’a point d’horizon ni rien à faire
Je prépare mon départ et mes arrivées
En chemin au hasard remplis mes valises
Pour offrir mes trouvailles là où ils lisent
Les visages nouveaux des pays à charmer
On vit comme on peut, on vit notre misère
On n'aura jamais le temps de tout comprendre
Et l'on s'en ira avec notre mystère
Dans la vie c’est bon d’apprendre à tout prendre
Pierre Marcel Montmory trouveur